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naturellement pas au nombre de nos adhérens. Il conteste l’utilité de nos efforts : il en conteste la légitimité. Il conteste leur utilité parce qu’il craint le bouleversement que provoquerait la mise à exécution de nos mesures en matière sociale. Il conteste leur légitimité parce qu’il lui paraît douteux que l’État ait le droit d’employer les moyens et d’user des institutions que je réclame, d’engager ainsi dans des voies déterminées, dans des canaux rigides, la propriété future. Mais par là même l’évêque de Mayence porte en notre faveur le témoignage le plus important. Il avoue en effet que cette opinion n’est fondée que chez ceux qui, comme lui, croient la propriété d’institution divine. La doctrine actuellement en faveur dans l’État, dans la science, dans le parti libéral, voit dans la propriété privée une institution humaine. L’évêque dit que de ce point de vue on ne peut élever la moindre objection sur la légitimité des mesures que je propose. Vous devez comprendre l’importance incomparable d’un semblable aveu.


Telle était l’estime dans laquelle le fondateur du socialisme allemand tenait le livre de Ketteler. Inversement, Ketteler, — une lettre postérieure à la mort de Lassalle nous en est la preuve, — inclinait à juger assez favorablement la personnalité même du fameux tribun[1]. En 1866, trois ouvriers catholiques de Dünwald, membres de l’Association de travailleurs fondée par Lassalle, consultèrent Ketteler ; ils lui demandèrent si des catholiques pouvaient appartenir à ce groupement. Sans émettre un avis formel sur une question qui regardait surtout l’évêque de leur diocèse, Ketteler inclina, non d’ailleurs sans quelque hésitation, vers une réponse négative, en raison de l’esprit antireligieux qui dirigeait les chefs actuels du mouvement lassallien ; mais il tint à rappeler l’indépendance de jugement qu’il avait toujours constatée dans les écrits de Lassalle, et même le « pressentiment respectueux qu’avait Lassalle de la profondeur et de la vérité du christianisme. » Sous sa direction, ajoutait-il,

  1. Ainsi s’explique que les « nationaux libéraux, » à l’époque du Culturkampf, aient allégué le souvenir du jugement de Ketteler sur Lassalle, pour accuser l’évêque de n’être qu’un démagogue, et que même ils aient complaisamment accueilli, sur les rapports des deux personnages, d’assez curieuses légendes. Entre autres faits, une visite qu’avait faite la comtesse Hatzfeld à Ketteler le 16 août 1864, quelque temps avant la mort de Lassalle, donna lieu plus tard à un tenace on-dit, dont en février 1873 la Nationalzeitung se fit l’écho, et d’après lequel Ketteler, sur la demande de la comtesse, se serait montré propice à l’idée de baptiser l’israélite Lassalle pour faciliter son mariage avec Mlle de Doenniges. Voyez les démentis de Ketteler lui-même dans la Germania du 16 février 1873 et les explications complémentaires du P. Pfülf, Bischof Ketteler, III, p. 260-263. Rien d’exact, non plus, dans la rumeur, accréditée en 1870 par certains journaux, d’après laquelle Ketteler, au moment où la comtesse Hatzfeld ramena de Genève le cadavre de Lassalle, aurait accompagné le corps depuis la gare de Mayence jusqu’à l’embarcadère du Rhin (Pfülf, op. cit., III, p. 263).