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consacrés au peuple ; la presse catholique, tout de suite, applaudirait !

Ainsi se découvraient des horizons imprévus ; les rêves sociaux engendraient des rêves politiques. Ketteler laissait dire les journaux et se dérouler l’histoire ; il avait voulu, lui, tout simplement, faire l’éducation sociale de la charité chrétienne. Survenant entre deux écoles réformatrices dont l’une, la libérale, parlait de seIf-help, et dont l’autre, la radicale, parlait de contrainte, le livre de Ketteler faisait de la réforme sociale un élan d’amour, et traçait à cet élan des directions auxquelles Lassalle ne pouvait qu’applaudir.

Parmi les nombreux témoignages que reçut Ketteler à l’occasion de son livre, celui qui sans doute lui parut le plus attachant ne fut pas la lettre élogieuse de Mischler, l’économiste catholique de Prague, ni le curieux billet d’un mécanicien protestant lui écrivant : « Si je ne puis pas vous voir sur cette terre, je veux vous visiter dans l’autre monde, et vous remercier d’être un ami des hommes, » ni même l’adresse par laquelle un protestant de Hambourg, président île l’association des artisans, lui exprimait une chrétienne sympathie, mais bien plutôt, croyons-nous, le rapide message dans lequel un curé des bords du Rhin lui rapportait quelques propos de Lassalle. Une fête socialiste avait eu lieu à Ronsdorf, le 23 mai 1864 ; Lassalle y avait réuni huit à neuf cents auditeurs. Il leur avait parlé de l’Association générale des travailleurs allemands, et puis des tentatives diverses faites, de-çà, de-là, pour améliorer leur destinée ; une demi-heure durant, il avait insisté sur Ketteler.


Il y a peu de temps, disait Lassalle, un prince de l’Église, l’évêque de Mayence, poussé par sa conscience, est intervenu dans la question ouvrière. Sur les bords du Rhin, il est en odeur de sainteté. Depuis bien des années il s’adonne aux recherches scientifiques. Point par point, il adopte mes propositions et mes thèses économiques et rejette celles des progressistes, avec pénétration et franchise… Il ne laisse même pas ; aux progressistes le choix entre l’ignorance et l’intention de tromper : en conscience, il se voit obligé de déclarer que celui-là voudrait tromper le peuple qui, connaissant les preuves que j’ai fournies, persisterait à nier l’existence de la loi d’airain !… Vous savez, mes amis, que je n’appartiens pas à la catégorie des gens pieux. Mais il n’est que juste d’accorder la plus grande valeur à ce symptôme. Malgré l’indulgence et la retenue qui conviennent naturellement à son ministère, un évêque se voit cependant obligé, en conscience, de s’exprimer avec la sévérité que me permettait ma liberté de tribun populaire… cela est d’autant plus important que l’évêque n’appartient