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auteurs ont poussé si loin la virtuosité picturale, la palette de Carducci, pour élégante qu’elle soit et harmonieuse, semble vraiment un peu pauvre. Dans ses heures les plus émues, il décrit et chante la nature en philosophe panthéiste ou en épicurien raffiné : « Alors que tout se renouvelle autour de nous, l’homme n’a qu’un temps ; cueillons donc le jour qui passe : carpe diem. » Et c’est tout. Mais entre le poète et la beauté des choses nul contact frissonnant, nulle sympathie ardente. Nos modernes lyriques aiment à associer le brin d’herbe et la fleur des champs aux mouvemens de leur âme. Carducci ignorait cette forme de la sensibilité moderne. Peut-être aussi la méprisait-il et s’en défendait-il comme d’une névrose de décadence. Nous avons cité la page où il s’élève contre « la domination des nerfs. » Il continue aussi bien de décrire la nature comme on faisait avant Rousseau. Le beau tableau de l’Ombrie dans les premières strophes de l’ode aux sources du Clitumne est purement, mais un peu froidement classique :


De la montagne couronnée de sombres hêtres qui en murmurant ondoient au souffle du vent, et d’où la brise emporte au loin l’odeur des sauges et des thyms sauvages,

Les troupeaux descendent encore vers loi, dans les soirées humides, ô Clitumne ; le jeune Ombrien baigne dans ton onde l’indocile brebis, tandis que

Du sein de la mère hâlée par le soleil qui, pieds nus, est assise sur le seuil de la chaumière et chante, un enfant à la mamelle vers lui se tourne et, le visage épanoui, lui sourit.

Les hanches couvertes d’une peau de chèvre, comme les faunes antiques, pensif, le père dirige le chariot peint de diverses couleurs et la vigueur des beaux taureaux,

Des beaux taureaux à la large encolure, aux cornes se dressant en croissant sur le front, aux yeux pleins de douceur, au pelage de neige, pareils à ceux qu’aimait le doux Virgile.

Cependant les sombres nuages passent sur l’Apennin. Grande, austère, verdoyante, du haut des montagnes qui graduellement s’abaissent autour d’elle, l’Ombrie observe.

Salut, ô verte Ombrie, et toi, divinité de la source limpide, ô Clitumne ! Je sens la patrie antique frémir dans mon cœur et sur mon front brûlant planer les dieux de l’Italie[1].

  1. Ancor dal monte, che di foschi ou deggia
    frassini ni vento tnormaranti e lunge
    per l’aura adora fresco di silvestri
    salvie e di timi,
    Srendon nel vespero umido, o Clitumno,
    a te le greggi, a te l’umbro fanciullo
    la rituttante pecora ne l’onda
    immerge, montre.
    Vèr, lui dal seno de la madre adusta,
    che calza siede al casolare e conta,
    una poppante volgesi e dal viso
    tondo sorride :
    Pensoso il padre, di caprine pelli
    l’anche ravvollo corne i fauni antichi,
    regge il dipinto plaustro e la forza
    de’ bei giovenchi.
    De’ bei giovenchi dal quadrato petto
    erti su’ l capo le lunate corna,
    dolci negli occhi, nivei, che il mite
    Virgilio amava.
    Oscure intanto funano le nubi
    tu l’Apennino : grande, austera, verde,
    da le montagne digradanti in cerchio
    l’Umbria guarda.
    Salve, Umbria verde, e tu del puro fonte
    nume Clitumno ! Sento in cuor l’antica
    patria e aleggiarmi su l’accesa fronts
    ge’ itali iddii,