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pourrait admettre de se laisser noyer à moins d’avoir une âme de mouton ? La race latine a besoin de se recueillir et de se retremper. Or, comment pourrait-elle se recueillir et se retremper sans le secours de la France dont le rôle historique consiste à servir de trait d’union entre les nations ?


Ce langage a été tenu à une époque où se pouvaient compter sur les doigts les compatriotes de Giosuè Carducci qui pensaient de la sorte. Pour avoir devancé l’opinion publique et de si loin, on jugera avec plus d’indulgence la Carmagnole savante du professeur de Bologne, les douze sonnets de son Ça ira.


IV

Prophète de l’histoire, poète de la politique, Giosuè Carducci n’a fait vibrer qu’à la rencontre et d’un doigt nonchalant les cordes intimes de la lyre traditionnelle. La nature et l’amour qui inspirèrent aux lyriques du XIXe siècle leurs chants les plus beaux, leurs plus « immortels sanglots, » ne font guère que passer dans les vers du grand rénovateur des mètres antiques. Pourtant, il aimait la nature et nous possédons maint témoignage du plaisir qu’il éprouvait à s’y retremper. Quelle intime satisfaction dans la lettre suivante adressée en 1881 à son ami Chiarini !


On ne voit ici que de braves gens, simples et laborieux. Il me semble que je pourrais me refaire parmi ces vieillards honnêtes, francs et actifs, parmi ces jeunes gens, travailleurs robustes et modestes, parmi ces femmes bonnes et sincères et qui parlent si bien, parmi ces enfans qui se promènent tout nus… Que ne donnerais-je pas pour être l’un d’entre eux et pour n’être pas moi ! Si mon infâme grand-père n’avait pas sottement dilapidé tout son avoir, je pouvais être tel : un petit propriétaire, un bon travailleur occupé de ses champs et non point un individu contraint de batailler contre Mario Rapisardi. Hélas !


Ami sincère de la nature, Carducci ne lui en mesure pas moins étroitement la place dans ses vers. Ses descriptions sont d’une extrême sobriété. Les paysages italiens figurent dans ses poèmes sous leur aspect éternel et convenu. Les grandes lignes sont heureusement tracées, mais l’ensemble manque de couleur. Par la distribution et la composition, les toiles de Carducci relèvent uniquement de la formule classique. On songe aux paysages héroïques des maîtres français d’autrefois, on croit voir des jardins à la mode de Versailles. Dans un temps où les