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présens à son esprit. À l’opprobre de Sedan s’oppose dans sa pensée la gloire de Valmy, de Valmy qui fait l’objet de son dernier sonnet. Plutôt que Sedan, la Terreur ; plutôt Danton que Napoléon III ; plutôt Robespierre que Bazaine, voilà ce qu’on peut lire entre les lignes du Ça ira[1]. Un critique italien a parlé des « Grâces pétrolières » qui avaient servi de marraines à cette poésie. Et ce propos irrita l’auteur. Le mot n’en était pas moins exact.

Indépendamment du Ça ira consacré à un sujet français, Carducci mentionne fréquemment la France dans ses ouvrages. Quel autre pays a été plus étroitement mêlé aux destinées du Risorgimento ? Carducci n’est pas gallophobe, tant s’en faut ; mais c’est exclusivement à la France rouge que vont ses sympathies. Les Iambes et épodes traînent aux gémonies ce peuple devenu infidèle à l’idéal révolutionnaire d’autrefois. Le poète maudit la France impériale « brigande au service du Pape » (masnadière papale). Dans les vers Pour Édouard Corazzini, il invective plus sauvagement encore la « grande nation » au nom de ceux qui crurent en elle, de ceux « qui avaient grandi à ta libre splendeur, de ceux qui t’avaient aimée, ô France ! » Même note dans le Sacre d’Henri V, où il s’élève contre les tentatives de restauration monarchique en France après la chute de l’Empire. Mais c’est surtout contre Bonaparte et le bonapartisme que le poète romain brandit ses foudres vengeresses.


Maudit sois-tu à travers tous les siècles, dixième soleil du coupable messidor, tu te lèves dans le sang et, froide, tombe la blonde tête de Saint-Just sur le sol ; maudit sois-tu pour tant d’éparses familles humaines qui courbent encore l’échine devant les rois ! Tu suscitas, en France, Bonaparte, tu éteignis dans les cœurs la vertu et la foi !


Carducci était, d’autre part, trop classique et latin pour ne pas apercevoir les liens multiples qui en tout temps, quels que soient les régimes politiques, rattachent l’Italie à la France. Ses passions l’empêchèrent de les découvrir tous, mais il convient d’observer que les menaces de prédominance germanique lui ouvrirent les yeux et qu’il affirma dès lors énergiquement la solidarité franco-italienne :


Le fait est, écrit-il, que l’élément germanique tend naturellement depuis Sadova et Sedan à déborder ses rives. Et pour n’être pas noyée (qui donc)

  1. Cf. Studi politici e storici, par D. Zanichelli (Étude sur les poésies politiques de Giosuè Carducci, pp. 481 et suiv.), Bologne, 1893.