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Jéhova, le « Jéhova des prêtres, » voilà la divinité que l’Hymne à Satan juge et condamne. Carducci n’était pas antidéiste, mais anti-chrétien, anti-catholique. Le monothéisme et l’ascétisme orientaux se substituant au naturalisme et au panthéisme helléno-romain, voilà le phénomène historique sur lequel il versait des larmes aussi rétrospectives qu’inutiles :


Adieu, divinité sémitique, s’écrie-t-il (Dans une Église gothique), toujours dans tes mystères domine la mort. Inaccessible roi des esprits, tes temples repoussent le soleil. Martyr crucifié, tu crucifies les hommes. Tu remplis l’air de tristesse, mais les cieux resplendissent, les campagnes sourient et les yeux de Lidia sont tout brillans d’amour.


Pour être aussi rebelle que possible à tout mysticisme, Giosuè Carducci n’était d’autre part, — il convient d’y insister, — ni matérialiste, ni athée. Il croyait à un Dieu impersonnel, commencement et fin des choses, et qui ne s’est pas révélé une fois pour toutes à l’humanité dans son enfance, mais qui se montre mieux au contraire chaque jour à l’humanité en progrès. Ses idées religieuses sont assez exactement celles de nos modernes agnostiques. Elles ne sont pas sans ressemblance avec la philosophie d’Ernest Renan. Dieu, catégorie de l’Idéal, n’est pas, mais il devient. Les hommes le créent en devenant meilleurs et plus « scientifiques. » Sévère et souvent injurieux quand il parle des hommes, Carducci, — par une contradiction fréquente, — professe une foi invincible dans les destinées à venir de l’humanité. Il croit au progrès, à la vertu, au devoir, il croit même avec une ferveur toute chrétienne à la noblesse du sacrifice. Son positivisme enfin ne répugne en aucune façon à l’idée d’immortalité :


Que le schah de Perse, écrit-il, ou un critique de Milan meure sans retour, je le crois et je m’en félicite. Mais que G. Mazzini soit mort tout entier, mais que soit mort tout entier Dante Alighieri, je n’en suis pas du tout convaincu. La religion des héros me tient trop profondément à cœur.


Poète par vocation et non point philosophe, Carducci n’a pris du reste aucun souci de grouper ses idées particulières autour d’un principe unique. Sa croyance n’eut rien de dogmatique et ne rentre dans aucun cadre fixe. Epicurien, décemment épicurien (à la façon d’Horace) par défi à l’ascétisme chrétien, il cède aussi par instans à des élans de noble stoïcisme. Enfin les