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se débattit dans les « affres du verbe » avec une ferveur plus sincère. Quand il parut, le culte de la forme, traditionnel en Italie, s’était fort relâché. Il eut ce mérite de retremper la langue poétique à sa source, de la rajeunir dans le bain de Jouvence de la tradition gréco-latine. Ainsi firent chez nous, avec moins d’éclat révolutionnaire et dans un esprit moins systématique, André Chénier avant-hier et hier Leconte de Lisle.

La poésie est une vocation. Elle veut des prêtres pleins de conviction et de feu, vigoureux comme des Titans, et qui domptent les mots et les rythmes avec des gestes d’athlètes :


Je hais la poésie d’aujourd’hui. Complaisante, elle abandonne au vulgaire ses flancs sans tressaillement et sous les baisers habituels elle s’étend et s’endort.

A moi la strophe vigilante, aux pieds rythmiques, qui bondit, aux applaudissemens dans les chœurs. Au vol je la cueille par l’aile. Elle se retourne et refuse[1].


Le souffle, l’élan, à eux seuls ne suffisent pas. Au feu sacré de l’inspiration le bon poète doit joindre des qualités de métier sans lesquelles son œuvre restera de qualité inférieure. Pour Carducci, comme pour Théophile Gautier et l’école parnassienne, le poète est un ouvrier avant d’être un prophète :


Le poète est un grand artisan qui, au métier, forma ses muscles d’acier. Fière sa tête, son col robuste ; nu est son buste, son bras est dur et son œil gai[2].


Réaction nécessaire contre le romantisme, retour urgent et utile au classicisme, voilà le programme littéraire de Carducci. Il renoue une tradition. Il tend la main à Léopardi, à Monti et

  1. Traduction de Jean Dornis (la Poésie italienne contemporaine, Paris, 1898, p. 27).
    Odio l’usata poesia. Concede
    Comoda ni vulgo i flosci fianchi e senza
    Palpiti sotto i consueti amplessi
    Stendesi e dorme.
    A me la strofe vigile, balzante
    Col plauso e il piede ritmico ne’ cori.
    Per l’ala a volo io colgola ; si volge
    Ella e repugna.
  2. Il poeta è un grande artiere
    Che al mestiere
    Fece i muscoli d’acciaio
    Capo ha fier, collo robusto
    Nudo il busto
    Ditro il braccio e l’occhio gaio.