d’unité. Après lui avoir tenu longtemps rigueur, les catholiques d’outre-monts avaient généreusement rapporté la sentence naguère prononcée contre le poète révolutionnaire. Lors d’un jubilé professoral de Carducci, le marquis Filippo Crispolti, le plus connu des publicistes catholiques de la péninsule, tint même à honneur de joindre aux hommages spontanés de l’Italie libérale l’hommage réfléchi de l’Italie catholique. Et il loua en termes parfaits tout ce qui, dans l’œuvre de Carducci, pouvait être loué par un esprit religieux. Cette unanimité dans l’admiration et la reconnaissance se retrouva lorsqu’il s’agit de rendre à la dépouille mortelle du poète les honneurs suprêmes. Le 16 février 1907 plongea dans le deuil l’Italie entière. Jour néfaste pour la Nation ! Jour de larmes pour la Poésie ! La scène funèbre décrite dans l’ode barbare Aux sources du Clitumne dut se répéter sur toutes les rives italiques :
Les nymphes allèrent en pleurant se cacher dans les fleuves, rentrèrent dans le sein maternel, ou, poussant de longs cris, se dispersèrent ainsi que des nuages au-dessus des montagnes…
Et la voix mystérieuse qui jadis, tandis que se mouraient le monde romain, ses dieux et ses héros, s’écria au large de la Méditerranée : « Le grand Pan est mort ! » dut exhaler de nouveau sa plainte en ce triste jour où descendait dans la tombe le plus antique, le plus latin, le plus romain des poètes modernes.
La poésie lyrique est individuelle par définition. Les grands lyriques ont-ils jamais fait autre chose que d’étaler à la face du monde leurs joies et leurs peines, leurs aspirations et leurs regrets personnels ? Ces sentimens nécessaires sont à peu près absens toutefois des poèmes de Giosuè Carducci. Haïssable ou non, le moi n’apparaît dans son œuvre que par éclairs. Alors que la poésie lyrique de Musset, d’Hugo et de Lamartine fournit un commentaire à leur biographie, alors que maintes pièces, parmi les plus belles qu’ils aient laissées, ne se comprendraient guère si l’on ne savait les circonstances où elles furent écrites, la connaissance de la vie de Giosuè Carducci est à peu près inutile à l’intelligence de son œuvre. Ce n’est point des malheurs de son âme que son vers est fait, mais des malheurs de la patrie.