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importante de toutes, et c’est autour d’elle que s’est engagé le vif du débat. Indépendamment de certaines incitations imprévues qui en ont accéléré la solution, la reconquête de sa souveraineté juridique était ce qui tenait le plus au cœur des négociateurs siamois. Pour bien le comprendre, il faut se rendre compte du rôle de premier ordre que la même question a joué dans la réorganisation du Japon. Le désir ardent de se soustraire à la juridiction des étrangers et de se classer ainsi dans l’aréopage des États considérés comme pleinement civilisés a été, pour le gouvernement japonais et pour la nation tout entière, le ressort qui a soutenu de la manière la plus puissante l’effort gigantesque, déployé pendant toute une série d’années pour atteindre les résultats que l’on sait. Et, puisque nous avons déjà invoqué l’exemple de l’Angleterre, n’oublions pas les bénéfices qu’elle a retirés du fait d’avoir cédé la première aux Japonais dans cette discussion, sans tenir compte des résistances et des appréhensions qui se manifestaient parmi toutes les colonies européennes à l’idée de voir leurs membres soumis aux jugemens de magistrats d’une mentalité si différente de la nôtre. Ce fut le présage d’une alliance qui a porté depuis des fruits si importans qu’ils ont peut-être dépassé les espérances de ceux qui les avaient semés.

La révision des codes siamois est du reste confiée à des jurisconsultes français choisis, nous devons le croire, avec le soin particulier et les qualités éminentes qu’exige une tâche d’une si grande portée, mais si difficile. Il y faut un esprit philosophique qui ne se développe pas d’ordinaire dans la pratique assidue des textes, mais qui suppose la compréhension des hommes d’une autre race, et l’intuition des milieux, peut-être la plus rare qui soit au monde.

Remarquons enfin que cet abandon de nos protégés chinois et de nos sujets, qui est en lui-même un acte des plus graves, nous enlève l’arme la plus efficace dont nous disposions, abstraction faite du recours à la force déclarée, pour influencer le gouvernement siamois. Nous ne pouvions nous en dépouiller qu’à la condition d’avoir définitivement adopté une politique toute nouvelle, et que cette politique nous fut permise. Cette concession seule doit être pour la Cour de Bangkok la preuve la plus évidente de notre entière sincérité et le gage le plus précieux des bienveillantes intentions de notre gouvernement.