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n’avions alors d’autres « protectorats » que ceux de petits archipels perdus dans l’immensité des mers australes, les Iles de la Société, les Iles Marquises et les Iles Wallis, de proportions trop réduites pour que nous ayons pu y puiser des leçons utiles. Dans ce mode de rapports avec un souverain et un royaume sans forces organisées, nous ne vîmes qu’un moyen commode, peu dispendieux, tout d’abord de préserver notre flanc gauche d’hostilités annamites probables en isolant les trois provinces restées sous le gouvernement de Hué, et d’assurer à notre petite Cochinchine une sécurité moins précaire, en second lieu d’éloigner de nous et du Cambodge les intrigues siamoises. Pour atteindre ce but, nous nous constituions les gardiens du trône et de la cour de Phnôm-penh.

Nous n’eûmes malheureusement pas l’idée, qui semble aujourd’hui naturelle, de jeter les regards autour de nous et de nous renseigner sur la pratique des Anglais dans l’Inde, où l’on rencontre toutes les formes possibles de protectorat, c’est-à-dire tous les degrés de rapports entre l’autorité britannique et les rajahs ou nababs feudataires ou médiatisés des « native states. » Nous attachant seulement à la préservation du pouvoir royal et à l’existence du monarque, nous perdions de vue les intérêts de son peuple lui-même, ignorans des responsabilités que nous allions assumer, et des calamités que cette omission allait bientôt répandre sur ce pays, dont nous avions pourtant la naïveté de nous considérer comme les bienfaiteurs.

Ce régime si variable, si protéiforme du protectorat, quand il s’exerce surtout sur un pays d’organisation arriérée, doit avoir pour règle fondamentale l’établissement de certaines garanties financières, avec un budget plus ou moins complet de dépenses de bien public obligatoires, et avec des sanctions pénales en cas de « maladministration. » Ces principes sont encore plus essentiels quand il n’existe dans le pays protégé, à côté du chef héréditaire et de sa famille, aucune aristocratie proprement dite. L’observation la plus superficielle de l’Inde britannique, ou même l’histoire des conquérans de l’antiquité nous l’aurait enseigné si, en débarquant en Cochinchine, nous n’avions eu l’outrecuidance et la simplicité de croire que nous avions découvert un monde nouveau et comme isolé dans l’espace, où rien du dehors n’était applicable. Nous ne savions pas que ces sortes de monarchies faibles et violentes à la fois sont, comme on l’a