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lourd héritage tombait sur ses épaules. Il en serait écrasé. Supposons-le devenu dictateur : obligerait-il le gouvernement à acheter toute la production viticole, sauf à « se débrouiller » ensuite pour la revendre ? Cette solution est la seule qui donnerait satisfaction au Midi, — et aux socialistes de l’école de M. Jaurès. Mais qu’en penserait et qu’en dirait le reste de la France, condamné à payer des fautes qu’il n’aurait pas commises ? Ne se révolterait-il pas à son tour, et le gouvernement ne se serait-il pas inconsidérément placé entre l’enclume et le marteau ?

Les manifestations du Midi dénotent un état d’esprit qui se retrouverait malheureusement ailleurs, et qui consiste à regarder le gouvernement comme le régulateur responsable de la vie industrielle et commerciale du pays. Si on a fait trop de vin, tant pis pour lui ; il doit le faire vendre, il doit le faire boire. Et l’obligation qu’on lui impose aujourd’hui pour le vin, on la lui imposera demain pour un autre produit. N’est-il pas, ne doit-il pas être une Providence ? S’il n’est pas cela, à quoi sert-il ? Qu’il s’en aille, comme le dit M. Albert. En attendant qu’il le fasse, les municipalités du Midi lui en donneront l’exemple : bon gré mal gré, elles vont se démettre de leurs mandats. Quelques-unes, s’il en est qui aient gardé leur sang-froid, auront bien le sentiment qu’elles commettent une sottise ; elles la commettront tout de même ; comment s’en dispenseraient-elles en présence de la sommation impérieuse qui leur a été adressée ? Se démettre est le mot d’ordre. Plusieurs maires ont déchiré publiquement leur écharpe le 9 juin, à Montpellier, et ce simple geste a provoqué un enthousiasme sans bornes. M. Ferroul, maire de Narbonne, que le « rédempteur, » M. Marcelin Albert, appelle volontiers son lieutenant, et qui jouit d’une popularité presque égale à la sienne, M. Ferroul a terminé sa harangue en disant : « Avec joie, demain, je vais frapper le premier coup, et après avoir rendu à ceux de qui je le détiens mon pouvoir municipal, je jetterai mon écharpe à la face du gouvernement : puisse-t-il se réveiller et comprendre ! » Comprendre quoi ? On croirait, à ouïr M. Albert et M. Ferroul, que les municipalités ne sont faites que pour le gouvernement, que les communes n’ont rien à y voir, qu’elles n’en tirent aucun avantage, bien qu’elles les nomment, et qu’elles peuvent les supprimer sans en éprouver aucun inconvénient. La vérité, au contraire, est que les municipalités sont l’organe des populations plus que du gouvernement, et qu’elles sont encore plus indispensables aux premières qu’elles ne sont utiles au second. Les grands orateurs de Montpellier ressemblent à un enfant qui