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LES DÉBUTS
DE
L’EMPIRE ROMAIN

II[1]
ROME ET L’EGYPTE

Auguste emmenait avec lui en Espagne son beau-fils Tibérius Claudius Néro, le fils de Livie, et son neveu Marcus Claudius Marcellus, le fils d’Octavie et du fameux consul de l’an 30[2]. Marcellus avait quinze ans, étant né le 16 novembre de l’an 42. Marcellus était, croit-on, né quelques mois avant Tibère en l’an 43. Ils étaient donc tous les deux à peine adolescens, et cependant Auguste les emmenait déjà à la guerre. Mais parmi les principes de la vieille politique aristocratique, il y en avait un surtout qu’Auguste voulait remettre en honneur dans la République : c’était le principe de ne point se défier de la jeunesse ; de ne pas réserver pour des vieillards les charges les plus hautes et les missions les plus difficiles. Place aux jeunes gens de nouveau, comme aux beaux temps de l’aristocratie[3] !

  1. Voyez la Revue du 1er avril.
  2. Dion (53, 26) nous apprend qu’en l’an 25, Tibère et Marcellus étaient à la guerre, en Espagne avec Auguste. Il me parait donc légitime de supposer qu’ils partirent avec lui.
  3. Cic. Phil., 5. 17, 47 : Majores nostri, veteres illi, admodum antiqui, leges annales non hahebant : qua multis post annis attulit ambitio… Ita sæpe magna indoles virtulis, priusquam reipublicæ prodesse potuisset, exstincta fuit. 48… admodum adulescentes consules facti. Tac, An., XI, 12 : apud majores… ne ætas quidem distinguebatur, quin prima juventa consulalwn ac dictaturam inirent. Les carrières rapides des parens d’Auguste, de Tibère, des Marcellus, de Drusus, que l’on a voulu considérer comme preuve de l’intention d’Auguste de concentrer au moyen de privilèges le pouvoir dans sa famille, sont au contraire un de ses grands efforts pour revenir à la tradition aristocratique et républicaine. Là aussi Auguste voulait refaire la république de Scipion l’Africain. Cela est si vrai que non seulement ses parens, mais aussi des citoyens qui n’appartenaient pas à sa famille, obtinrent, de son vivant, les charges suprêmes, étant encore très jeunes. C’est ainsi que L. Calpurnius Pison fut consul en l’an 15 av. J.-C. à 33 ans, étant né en l’an 48 av. J.-C. et étant mort à 80 ans en l’an 32 de l’ère chrétienne (Tac, An., 6, 10). L. Domitius Ahénobarbus, qui mourut en l’an 25 de l’ère chrétienne (Tac, 4, 44), fut consul en l’un 16 av. J.-C. ; s’il avait été consul à ce que Cicéron appelait l’âge légal, c’est-à-dire à 43 ans, il serait mort à 84 ans et Tacite aurait signalé, comme pour Pison, une aussi rare vieillesse. Son silence nous prouve que Domitius ne devait pas être très âgé : si l’on suppose qu’il avait alors soixante et onze ans, il aurait été consul à trente ans. C. Asinius Gallus, le fils du fameux écrivain, né en l’an 41 av. J.-C. (Serv., ad Virg. Ecl., 4, 11), fut consul en l’an 8 av. J.-C, c’est-à-dire à trente-trois ans. P. Quintilius Varus fut consul en l’an 13 av. J.-C. Vingt ans plus tard, en l’an 7 de l’ère chrétienne, il fut envoyé pour gouverner la Germanie. Il n’est pas probable qu’un commandement comme celui-là ait été confié à un homme très âgé ; il est plus vraisemblable qu’il le fut à un homme d’une cinquantaine d’années ; il n’avait donc qu’environ trente ans, lui aussi, quand il fut consul. Si nous connaissions la date de naissance de tous les consuls, nous aurions sans doute beaucoup d’autres exemples du même genre à fournir ici. La chose d’ailleurs est naturelle : même si Auguste ne l’avait pas voulu, il aurait été obligé d’agir ainsi ; puisqu’il voulait restaurer le principe aristocratique, il était nécessaire d’ouvrir les portes aux jeunes gens, tant l’aristocratie était réduite. Voyez Suét., Aug., 38.