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façons diverses dont il se combine avec l’instinct, le livre posthume de Cornish nous offre de remarquables exemples que je regrette bien de ne pouvoir citer : soit que l’auteur nous entretienne des observations qu’il a faites, au Jardin Zoologique, sur des « fourmis jardinières » qui font subir à des feuilles de roses une transformation chimique d’une délicatesse invraisemblable, et en déployant, à ce travail, un ordre, une méthode, une ingéniosité pratique plus invraisemblables encore, ou qu’il nous rende compte de ses patientes et savantes expériences sur le langage des chiens, des moutons, et des différentes espèces d’oiseaux. Mais on devine que les qualités morales de ses amis l’intéressent et le touchent plus à fond que leurs qualités intellectuelles. Avec quel plaisir il nous énumère de beaux traits de courage des petits animaux ! La bravoure, d’après lui, est souvent en raison inverse de la taille des bêtes. Toute la race des belettes, en particulier, unit à une intelligence remarquable un courage héroïque. Pareillement, certaines espèces de chats sauvages semblent ignorer la sensation de la peur : pris au piège, ils attaquent vaillamment homme ou chien qui s’approche d’eux ; et l’on a vu un autre chat, prisonnier d’une ménagerie, après s’être glissé dans une cage voisine, assaillir et tuer un léopard trois fois plus gros que lui. Encore sont-ce là des bêtes aussi méchantes qu’elles sont intrépides ; mais leur bravoure est presque égalée par celle de nombreuses espèces d’oiseaux, et des plus petits, comme aussi des plus doux et des plus charmans.


Une mésange bleue restera assise dans son nid, bien qu’elle ait largement le temps et le moyen de s’enfuir, et attendra que la main du visiteur l’ait touchée ; sur quoi elle mordra aussitôt les doigts de l’intrus, avec une vigueur et un courage admirables. Et l’on n’a point de peine à imaginer à quelle terreur cet oiseau minuscule fait face avec tant de hardiesse. Il voit un bras énorme, dix fois plus gros que tout son corps, il le voit s’avancer lentement vers lui avec les doigts étendus, tout à fait comme les images des livres de contes représentent la main du géant s’ouvrant pour saisir le Petit Poucet. Mais, tandis qu’il lui serait infiniment facile de s’envoler, en abandonnant ses œufs à ses ennemis, il préfère supporter cette approche effroyable, et attaque le géant avec une bravoure dont nous ne trouvons encore d’équivalent que dans les livres de contes… Bravoure d’autant plus étonnante que ces petites espèces d’oiseaux ont un tempérament d’une nervosité extrême. La mésange se rend parfaitement compte du danger qu’elle court, et souffre cruellement d’une appréhension nerveuse qui, parfois même, risque de la tuer : mais le désir de défendre ses œufs domine tout cela… Il y a même, dans la République Argentine, un oiseau qui, par amour pour ses petits, trouve assez de hardiesse pour attaquer le chat, le pire ennemi héréditaire de la race des oiseaux. C’est le poélier, un