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est compatible avec son honneur. Il est erroné de croire que la Prusse déploie cette immense activité militaire avec l’intention d’amener un conflit, et tout concourt à le prouver, le bon sens le plus vulgaire, la connaissance des choses et celle des intérêts de la Prusse, le sain jugement du Roi et de son gouvernement, la haute intelligence de M. de Bismarck, enfin l’absence de tout indice. » Il rapporte avec componction que Bismarck lui disait : « Jamais nous ne vous ferons la guerre ; il faudra que vous veniez nous tirer des coups de fusil chez nous à bout portant. » On le voit, Bismarck était bien servi.

Cette complicité lui fut très précieuse. Les affirmations de Stoffel venant se joindre aux dires rassurans de Bismarck rapportés par Benedetti, l’opinion s’établit dans l’esprit de l’Empereur et de ses ministres que nous n’avions aucune agression à redouter, que la guerre était entre nos mains, et que si nous ne la provoquions pas de propos délibéré, elle n’éclaterait pas. Or, comme l’Empereur était décidé à ne pas insister sur le règlement de la question du Sleswig, et que la seule hypothèse dans laquelle il ne croyait pas pouvoir éviter la guerre, l’union politique du Sud avec le Nord, paraissait abandonnée par Bismarck, la paix lui semblait tout à fait assurée. Les avertissemens effrayés de Mme de Pourtalès n’avaient provoqué qu’une ironie aimable de sa part : « Sur quel nuage sombre se sont arrêtés ces beaux yeux ? »

Ce n’était pas le gouvernement seul qui s’endormait. Guizot, un des oracles de la diplomatie des anciens partis, s’était expliqué sur ce sujet, et avait conclu que la guerre n’était ni inévitable, ni probable[1]. Ainsi étaient accroupies, dans l’ombre, deux bêtes féroces, la Révolution et la Prusse, toutes, deux prêtes à s’élancer sur l’Empire et à s’entr’aider pour l’étrangler. En garde contre la Révolution" nous étions dans la plus trompeuse sécurité vis-à-vis de la Prusse.


EMILE OLLIVIER.

  1. La France et la Prusse devant l’Europe.