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Venez après cela crier d’un ton de maître,
Que c’est le cœur humain qu’un auteur doit connaître !
Toujours le cœur humain pour modèle et pour loi !
Le cœur humain de qui ? Le cœur humain de quoi ?
Celui de mon voisin a sa manière d’être,
Mais, morbleu ! comme lui, j’ai mon cœur humain, moi !
[ Namoana.]


Pour lui, il ne sait que son cœur, et n’est curieux que d’en compter les battemens. Ne s’intéresser qu’à lui seul, telle est sa prétention. C’est le romantisme à l’état aigu. Sans doute. Mais à ces limites extrêmes où la pousse Alfred de Musset, la théorie confine avec la doctrine adverse. Car il faut bien, à force de creuser, qu’on arrive au fond commun. Et c’est chez nous l’histoire même de la littérature d’analyse. Qui donc, si ce n’est Montaigne, s’était jadis donné la tâche d’être, dans un « livre de bonne foi, » l’historiographe de son propre cœur ? Et notre littérature moraliste n’est-elle pas déjà contenue tout entière dans les Essais ? Aucun livre ne dépasse en portée générale cette confession particulière. L’analyse, pourvu qu’on sache la diriger dans un certain sens, nous fait atteindre à cette « forme de l’humaine condition » que chacun porte en soi. Ce goût de l’analyse, Musset l’a toujours eu d’instinct et à un degré éminent. « Je ne comprends rien à ce perpétuel travail sur toi-même, » dit Spark à Fantasio. Cette attention à fouiller dans les replis cachés de son âme et dans les compartimens secrets, le rend quasiment insensible aux enchantemens du monde extérieur. C’est là un trait à noter. Le poète du XIXe siècle se prête à la contemplation de cette nature qu’il vient de découvrir ; Musset s’occupe fort peu du paysage, mers ou montagnes, lacs ou forêts. C’est peut-être qu’il est de Paris. C’est aussi qu’il représente une conception littéraire, d’après laquelle on évite de trop accentuer l’importance du cadre de l’action humaine, au détriment de cette action elle-même. Lui donc, au lieu de se répandre au dehors, se replie sur soi et se regarde vivre. Ses personnages, que ce soit Frank de la Coupe et les Lèvres, où le poète de la Nuit de Décembre, possèdent cette dangereuse faculté du dédoublement. Ce travail que nous faisons sur nous-mêmes n’est pas pour celui qui le fait d’un grand secours. Comme la « Solitude, » l’analyse n’est qu’une spectatrice : jamais elle ne vient nous avertir, elle voit nos maux et nous regarde souffrir sans nous consoler. Faut-il conclure que l’analyse soit stérile, inefficace, que l’effort en soit perdu pour tout le monde ? Rappelez-vous à ce propos, les vers du, poète de la Nuit d’Octobre évoquant sa souffrance :