Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tôt ou tard en famille ; il n’y a que les fautes commises au dehors qui ne pardonnent point ; et, en ce sens, quel gouvernement, sauf le premier Empire, a été plus funeste que le régime actuel à notre pays ? Le socialisme ne fera jamais autant de mal à la France que la fondation de l’unité italienne, la fondation de l’unité allemande et le projet qu’on dit aujourd’hui en faveur à Saint-Cloud de mettre la dernière main à ce chef-d’œuvre en livrant à un prince italien notre frontière d’Espagne. Je n’ai certes point, dans la sagesse des irréconciliables, une entière confiance, mais je les mets au défi de faire pis en ces matières qu’un prince qui, animé, j’en suis sûr, d’intentions excellentes, n’en a pas moins agi, — à l’exception de la guerre de Crimée et dès le lendemain de cette guerre, — comme si, par un mystère incompréhensible, il était au fond du cœur, sur le trône d’Henri IV et de Louis XIV, l’adversaire irréconciliable de la grandeur et de la sûreté des Français[1]. » L’émotion approbative qui accueillit celle philippique faisait présager d’avance l’explosion qui se produirait lorsqu’on nous montrerait à l’horizon, derrière les Pyrénées, non plus un Italien, mais un Prussien.

La tâche dévolue à Salazar et à Bernhardi était donc désormais très limitée : le terrain étant déblayé, obtenir du maître de la situation en Espagne, Prim, son assentiment à la candidature de Léopold. Il connaissait l’affaire depuis septembre, n’était pas sorti de l’état d’observation ; il n’avait pas dit non, mais n’avait pas encore prononcé de oui ; c’est à obtenir ce oui que les deux associés travaillèrent à la fin de l’année 1869. Ce but atteint, Bismarck se chargeait de décider les Hohenzollern d’obtenir le consentement indispensable du Roi et d’organiser les détails de la manœuvre finale. Mais tout cela demandait encore du temps et, jusque-là, il était important de cacher sa trame en continuant les démonstrations pacifiques. On y réussissait dans le langage officiel. Cependant, parfois, la pensée secrète se montrait : il n’est de feu si bien couvert, qui ne laisse échapper quelque fumée. Dans un dîner diplomatique, vers la fin de 1869, le ministre allemand à Washington annonçait l’imminence de la guerre. Thile le blâma vivement, non qu’il le démentît, mais « parce que si la guerre éclatait, ils avaient tout intérêt à mettre de leur côté la sympathie publique et à faire croire que c’est la France qui l’aurait provoquée[2]. »

  1. Lettre au Pays.
  2. Cité par la Gazette d’Augsbourg.