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son pain quotidien, et elle ne forme pas les hommes d’énergie et d’initiative qu’exige encore l’état actuel du monde. L’éducation universitaire développe en nous l’idéalisme ; elle ne nous prépare pas à gagner notre existence. Elle ne forme même pas notre jugement parce qu’elle est fondée avant tout sur l’exercice de la mémoire et que, voulant tout embrasser, visant à la description des rameaux et des fleurs de l’arbre, elle ne s’arrête pas suffisamment à ses racines et a ses branches maîtresses. Il ne nous appartient pas de rééditer ici le vigoureux réquisitoire du docteur Gustave Lebon dans sa Psychologie de l’éducation, ni de reproduire les articles de M. Léautey ; qu’il nous soit seulement permis de rappeler un, souvenir personnel, un peu ancien peut-être, mais qui s’applique encore à nos jours.

En 1886, l’opinion publique se préoccupait du surmenage dans les lycées, et M. Goblet, alors ministre de l’Instruction publique, crut devoir instituer une commission pour la réforme des programmes de l’enseignement secondaire. Cette commission se composait d’une douzaine de professeurs ou de membres éminens de l’enseignement ; les familles y avaient deux représentans, quorum pars parva fui. Après une harangue éloquente, ainsi que l’atteste le procès-verbal, suivie de beaux discours de plusieurs orateurs diserts, le tout appuyé par les applaudissemens approbateurs, mais modestes, qui seyaient aux deux intrus, il fut voté à l’unanimité qu’il ne serait pas donné plus de trente heures de classe par semaine dans les lycées. Puis les professeurs exposèrent tour à tour leurs desiderata. Le représentant de la géographie en démontra la nécessité d’une façon que je qualifierais de victorieuse si elle n’avait précisément été fondée sur nos défaites, et il déposa sur le bureau un programme pour l’accomplissement duquel il demandait six heures par semaine. Les mathématiques, cette gymnastique de l’intelligence, présentèrent aussi leurs exigences en réclamant huit heures. L’enseignement des langues vivantes devait être rénové… une fois de plus… d’après une méthode nouvelle dont on donnait le résumé et qui avait besoin de huit heures. Il fut prouvé, successivement, d’une façon magistrale et toujours avec un programme à l’appui, que toutes les autres branches de notre enseignement secondaire étaient absolument indispensables, et lorsque vint le tour de l’addition de toutes ces nécessités on se trouva devant un minimum de soixante heures ! Chacun alors d’en réduire le nombre par un