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importance, car, pour entraîner le Roi qui restait pacifique, et l’Allemagne qui, en dehors de la Prusse, ne l’était pas moins, il fallait se faire attaquer.

Pendant un temps, Bismarck avait espéré que nous engagerions la querelle nous-mêmes en nous fâchant des nombreuses promenades qu’il se permettait au-delà du Mein, ou en réclamant, dans le Nord du Sleswig, l’exécution du traité de Prague relatif aux Danois. Mais nous avions permis sans mot dire toutes les incursions partielles et limité notre casus belli au seul cas où la Prusse opérerait, après l’Union militaire, l’Union politique qu’elle était décidée à ne pas tenter. Quelquefois, nous nous étions hasardés à lui parler des Danois du Sleswig, mais, dès qu’il avait froncé le sourcil, nous nous étions terrés[1], et nous ne paraissions pas devoir être jamais d’humeur plus exigeante.

Les ouvertures de Fleury au Tsar lui ayant fait croire que nous allions reprendre sérieusement cette affaire, il envoya son ambassadeur Werther aux informations auprès de La Tour d’Auvergne : « Ma démarche, lui dit-il, est purement officieuse ; c’est à titre amical que je viens causer avec vous. Le cabinet de Berlin sait que le général Fleury a parlé à l’empereur Alexandre de l’affaire du Sleswig et s’est exprimé avec différentes personnes, notamment avec le prince de Reuss, de manière à laisser croire qu’il était particulièrement chargé de traiter cette question. Que faut-il en penser, et quelle portée doit-on attribuer au langage du général ? » La Tour d’Auvergne affirma que si Fleury avait entretenu la cour de Russie du Sleswig, il ne l’avait pas fait en vertu d’instructions spéciales. Récemment on avait demandé au gouvernement français s’il recevrait les délégués du Sleswig porteurs d’une pétition et nous avions formellement décliné l’ouverture. « Certes, ajouta La Tour d’Auvergne, nous ne sommes pas indifférens à l’issue que pourrait avoir la négociation pendante entre Copenhague et Berlin, et, puisqu’une occasion m’est offerte d’exprimer noire sentiment, nous l’avons même fort à cœur. Mais nous ne méconnaissons pas les susceptibilités qui s’y rattachent, et il n’entre point dans notre pensée de les mettre en cause. L’ambassadeur de Sa Majesté, en parlant du Sleswig à empereur Alexandre, n’a donc pu envisager celle question que comme un des élémens de la situation générale, et son

  1. L’Empire libéral, t. IX, p. 571.