Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/872

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

concurrence qui les contraint déjà à entrer dans un fonctionnarisme de plus en plus étendu, à aller dans les provinces excentriques malgré leur débilité pour toucher des appointemens qui leur deviendront sans cesse plus indispensables ; or ils périssent au dehors du Plateau Central. Et c’est en dernier ressort une œuvre inutile que nous accomplissons en y dépensant beaucoup.

On a proposé, comme mesure de justice, une mesure qui pourrait obvier à la formation d’un mouvement national malgache analogue à celui des Indiens : la haute administration a lancé dans la presse l’idée d’un décret spécifiant qu’après vingt années de service, les fonctionnaires indigènes recevraient pour récompense suprême leur naturalisation ; on ferait ainsi rentrer, « doucement et à la longue, parmi les citoyens français une série d’individus régénérés par l’instruction et une longue pratique des vertus administratives ; en transmettant à leurs enfans leur titre de Français, ils constitueraient la souche d’une génération indigène perfectible et mieux préparée à recevoir le baptême de l’égalité humaine. » On a observé en outre qu’il y avait des Hovas, docteurs en médecine ou chirurgiens-dentistes des facultés de France, qui étaient soumis à toutes les vexations du code de l’indigénat et restaient les égaux de bourjanes, et il est certain que rien n’est plus injuste et impolitique. Mais la naturalisation, telle qu’elle est envisagée, serait très dangereuse. On peut évidemment s’en servir avec adresse pour instituer de nouvelles différences de classes entre les Malgaches, mais celles qu’on propose, dans le régime tel que nous l’avons établi, aboutiraient à susciter une aristocratie hova (ou « hovatisée » aux écoles comme on le verra à propos de l’Instruction publique) dont la descendance surtout deviendrait vite une classe privilégiée et hostile, en plein « regrès. » En effet, les enfans de ces « intellectuels » malgaches, fatigués par leurs études et le surmenage d’une vie européanisée, retourneraient plus qu’en nul autre pays à un état inférieur à celui du reste des indigènes. La naturalisation, privilège créé par la démocratie aux colonies, ne saurait jamais être, non plus que les autres privilèges combattus par cette même démocratie, un bénéfice héréditaire. Et il serait injuste et inintelligent de ne la conférer qu’aux intellectuels, les laboureurs et les bourjanes formant l’élément le plus intéressant, le plus digne de la population.

Comme on divisait autrefois les tribus pour régner sur elles,