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comme un autre et « où l’on voit des choses ; » alors, avec froideur et détachement, ils exploitent l’indigène, s’y jugeant aussi autorisés que l’État devant lequel seul ils s’estiment être responsables. A part quelques exceptions, nous avons souvent trouvé à Madagascar les anciens commis de résidence supérieurs dans leur tâche aux brevetés des grandes écoles, parce qu’ils avaient plus de bonhomie et de bienveillance envers le paysan. Il est juste d’ajouter que, soucieux de leur avancement, ceux-ci ont l’esprit aigri par les passe-droits fréquens : contrairement à toute légalité, on voit des expéditionnaires du ministère des Colonies, qui n’ont pas réussi à l’examen de rédacteur, nommés d’assaut administrateurs-adjoints de 2e classe, alors que les anciens élèves de l’Ecole coloniale mettent au moins quatre ans pour arriver à ce grade. La Métropole envoie cependant tous les deux ans des inspecteurs dont la fonction est justement de relever les abus de cet ordre : il est vrai qu’ils ne barguignent point à se plaindre publiquement de ce que leurs réclamations sur de tels sujets les font mal noter aux cabinets privés des ministres.

Dans ces conditions, il faut admirer l’administrateur d’avoir su rester en général un type de Français très sympathique, complexe, vivant, pittoresque, éclairé. Velu d’un costume de soie betsiléo qu’a tissé une rainaloa de sa circonscription, il aime à circuler dans le pays, excursionnant pour son agrément tout en accomplissant sa tournée de service ; la géologie l’intéresse ; il a photographié les volcans se succédant en propylées, les cascades fumantes, les lacs recueillis dans les cratères ; montrant aux indigènes qu’il a plaisir à parler leur langue quand il pourrait n’ordonner qu’en français, il a fait quérir les plus vieux et a interrogé leur mémoire flattée sur les légendes et l’histoire des aïeux ; le voici qui se promène au milieu des groupes de lambas les jours de marché et s’entretient avec les marchands de la récolte ; il entre à l’hôpital prendre en la plaisantant des nouvelles de la dernière accouchée. Sa chambre, son bureau sont tendus de rabanes coloriées qu’il a commandées au plus habile ouvrier du district ; il a sur sa table de travail des coupe-papier taillés dans la corne des zébus et sur ses étagères les lampes en porphyre des anciennes cases. Le dimanche soir, dans son salon où sont réunis les Européens, un ancêtre en uniforme rouge du premier Empire vient chanter devant le piano, où la madame vahaza l’accompagne, de vieux airs royaux. De même