Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/852

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

géographiques et ethnologiques d’une imprécision notoire. Sans doute il est malaisé, même à ceux qui ont mené des enquêtes dans plusieurs de nos établissemens et qui ont vu à l’œuvre une assez grande variété d’administrateurs, de formuler un jugement d’ensemble ; du moins peuvent-ils constater qu’un grand nombre de ces fonctionnaires français sont intelligens et humains, que les hommes d’élite n’y font pas défaut et que le corps est bien supérieur à ce qu’il était il y a vingt ans, particulièrement en Algérie, pays de proconsulat où l’exemple illustre de Salluste autorisait même ceux qui n’avaient reçu aucune éducation classique à des déprédations opimes et à un cynisme magnifique.

Actuellement les administrateurs de Madagascar sont d’anciens élèves de l’Ecole coloniale ou sortent des rangs. Ceux qui ont passé par l’Ecole y ont appris le droit romain et le droit international, une langue indigène, et les règles de la comptabilité ; expédiés neuf fois sur dix dans la colonie dont ils ne savaient pas l’idiome, ils ont fourni un stage d’un an dans les bureaux de Tananarive où on ne les a pas astreints à apprendre le malgache, puis ont été envoyés pour un ou deux ans dans un village avec la recommandation pressante d’y prélever le maximum d’impôts, et là ils sont chargés de faire construire les routes, élever les hôpitaux, diriger les travaux d’assainissement, desservir des postes météorologiques, créer des jardins d’acclimatation, même surveiller les médecins et infirmiers indigènes, toutes fonctions nécessitant des connaissances scientifiques qu’ils n’ont pas acquises à l’Ecole. Or ils arrivent dans leurs postes éloignés nantis de l’esprit des étudians de ces grands établissemens modernes, improvisés à la hâte par un homme d’Etat inquiet et jamais examinés, où il n’y a ni unité d’enseignement ni principes supérieurs d’éducation morale. Ils restent infatués, sinon toujours de leurs personnes, de leur école ; la plupart sont guindés, secs, arrivistes, pessimistes par égoïsme, pédans et d’un dilettantisme utilitaire, ils n’ont aucun esprit de charité, ils méprisent l’indigène et aussi volontiers le colon. Souvent ils ont quitté Paris imbus de cette théorie mi-artiste et mi-anarchiste, d’ailleurs aussi peu libérale que scientifique (l’ethnographie est là pour le prouver), que les indigènes « sont chez eux, » ; qu’à être sincères il est injuste de leur enlever les terres et de réclamer des impôts, qu’eux-mêmes sont payés pour une besogne immorale que l’Etat leur a confiée et qu’ils ont assumée parce que c’est un métier