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théoriques que lui dictaient à la fois le désir de passer pour humanitaire et l’intérêt bien compris du propriétaire de ménager une main-d’œuvre dont elle savait qu’elle aurait indéfiniment besoin ; elle a créé des hôpitaux forains avec des magasins assez bien approvisionnés. Mais cela a été l’ait rapidement, parfois avec beaucoup de désinvolture de la part des subordonnés qu’on n’avait pas le temps de surveiller : tous nos renseignemens confirment que les choses essentielles aux malades, telles que le lait, la viande saine, l’eau filtrée, manquaient. Il nous semble également certain que, beaucoup moins souvent que ne le disent les colons, mais sur nombre de points pourtant, les indigènes ont été frustrés de leur solde, voire des trois quarts de leur nourriture, par les agens européens, dont beaucoup sont rentrés à Marseille avec des sommes considérables, dépensant cyniquement sur les paquebots ; les dossiers eux-mêmes que l’administration supérieure a bien voulu nous communiquer pour nous prouver qu’à chaque fois qu’une plainte lui était parvenue elle avait ouvert une enquête (ce qui est indiscutable) nous ont donné la conviction que de pareilles enquêtes ne pouvaient donner des résultats, et la façon grandiloquente et vague dont les agens indignés se défendaient ne laissait pas fort souvent d’inquiéter. Leur nombre est restreint à côté de celui des esclaves qui peinent sur les chantiers du Congo belge ou de l’Inde anglaise, mais des milliers de Malgaches sont morts sur les tranchées du chemin de fer de Tananarive, souvent enterrés à la dérobée dans la glaise, et dont les familles n’ont jamais plus entendu parler. Avec quelques réserves, on peut comparer la voie ferrée de Madagascar aux travaux que faisaient exécuter les pharaons : infailliblement la colonisation moderne, même pratiquée par le peuple qui de beaucoup s’est montré le plus humain, reste cruelle, meurtrière, gâcheuse à plaisir d’existences, parce qu’elle est faite trop hâtivement par des agens mal recrutés dont la métropole se débarrasse, continuant à se rattacher par là à la colonisation pénitentiaire d’où est née l’Australie ; les fonctionnaires honnêtes et intelligens, plus nombreux qu’on ne croit, sont induits au fatalisme, condamnés au mutisme ou absorbés par leurs occupations et le souci de leur santé. La responsabilité remonte à la Métropole : c’est une question de régime, de conscience publique, de démagogie amorale et pressée qu’il y a à envisager d’une façon générale en étudiant quelle modération des institutions,