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provinces. Il s’y ajoute des impôts divers. Quand on les additionne, comme font les journalistes, on arrive à un chiffre considérable qui double avec les prélèvemens illégaux. Mais les Malgaches n’ont pas à les acquitter tous et ils conservent la propriété des sous-produits des forêts, même dans les concessions données aux Européens. Ils se soumettaient aux impôts exigés par la reine comme au droit naturel du plus fort, sacré par la routine ; ceux qui sont demandés par les vahazas (étrangers) ont beau être moins forts, ils sont toujours considérés comme des vexations. Le temps, l’habitude seuls modifieront ces sentimens. L’éloquence humanitaire, les proclamations habiles du général Galliéni, à dessein de leur faire comprendre l’utilité des contributions, les laissent sceptiques et hypocrites. Cependant, quelques faits agissent déjà sur eux, ils apprécient le bienfait des hôpitaux et maternités au point de vouloir y résider plus que de nécessité.

En outre, sous le régime hova, les hommes libres devaient d’innombrables corvées au seigneur, aux gouverneurs, au premier Ministre, à la Reine, plus dures et plus nombreuses que celles des esclaves. C’était par corvées qu’on bâtissait leurs maisons, celles de leurs parens, celles de leurs serviteurs, qu’on leur apportait l’eau, le bois, le riz, la viande, qu’on gardait leurs troupeaux, cultivait leurs rizières, qu’on défrichait, gardait et faisait prospérer leurs plantations jusque sur la côte, qu’on exploitait les mines d’or, qu’on les accompagnait dans leurs voyages pour les porter eux-mêmes, leurs bagages et leurs provisions ou pour leur assurer une escorte d’honneur, qu’on charriait de Tamatave à Tananarive ce qu’ils avaient commandé aux Européens : le P. Piolet qui en a tant rencontré peinant sur les pistes déformées de la forêt, a narré le supplice de ces malheureux succombant dans la boue sous le poids des caisses démesurées, en groupes de dix à quinze conduits par un aide de camp qui les piquait du fer de sa lance comme un attelage de bœufs : ils mettaient des heures à faire quelques centaines de mètres, haletans et tordus, obligés d’avancer toujours. Les divers emplois de secrétaires étaient aussi des corvées, condamnant à la misère les familles des subalternes. Et les bons ouvriers à qui leur industrie ménageait quelque aisance voyaient un jour un aide de camp venir les féliciter au nom de la Reine et leur annoncer que dorénavant ils auraient l’honneur de travailler pour elle : c’était la ruine ; ils se mutilaient.