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et avenante : c’est qu’en dessous toute une cité d’esclaves et de petits artisans se riait de la fugue comique de la cour hova à la campagne et, les yeux séduits par les costumes des Français, cédant à l’exaltation forte au cœur des faibles du spectacle d’une marche conquérante, laissait vibrer, en son âme facile, le désir de l’émancipation et de l’imprévu.


I. — LE CONTACT DE LA CIVILISATION

Dix années ont accompli notre domination. Les administrateurs et les colons se sont établis dans les villages éloignés, au milieu des cases indigènes. Le Malgache que nous avons vu au naturel, insouciant de l’au-delà, voluptueux, artiste, d’esprit souple et de main industrieuse, en général indolent, mais vaniteux et bavard, aimant la toilette, le luxe et la représentation, qu’est-il devenu, que se montre-t-il devant l’Européen ?

Au contact du vainqueur, aussitôt il rentre en soi-même, il se contracte ; même dans la brousse, vis-à-vis du colon qu’il sait sans pouvoirs et peut-être en mauvais termes avec l’Administration, il est instinctivement dissimulé au point de se faire passer pour imbécile et de ne jamais satisfaire à ses interrogations : il présente de côté une physionomie passive jusqu’à l’abêtissement et répond invariablement oui même si le oui n’a aucun sens, parce que c’est le mot d’acquiescement servile, sauf quand l’affirmation pourrait engager ses congénères devant le fisc. Le voyageur finit par en être irrité, et l’on conçoit que l’administrateur ou l’officier se laisse assez vite aller aux coups, prélude des exactions. Les Malgaches, alors, se renferment davantage, se recroquevillent dans une sorte de pétrake cérébral, et, sous une terreur constante, se tiennent hébétés. Leur faiblesse d’esprit est extrême, ce qui étonne quand on note par ailleurs la grande souplesse de leur intelligence. Ils sont essentiellement hypnotisables, à s’en effrayer eux-mêmes tout en s’abandonnant aux suggestions comme à l’ivresse. On sait leur coutume de consulter les paroles magiques qu’ils ne comprennent pas et qui les mettent dans un transport nerveux où ils ne s’appartiennent plus ; un grand nombre aussi sont affolés par la civilisation où ils se jettent à tête perdue, dans une démence d’émulation maladive. Même ceux qui ne l’aiment point la subissent et en sont étourdis, déroutés. Leur crainte originelle d’être ensorcelé s’est