Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/830

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

britanniques ; que surtout ce sacrifice est singulièrement atténué par ce fait que la Déclaration de Paris n’a pas le même sens en Angleterre qu’en France ; que les mots « pavillon neutre » et « marchandise neutre » prennent à Londres une signification toute spéciale ; qu’enfin la « contrebande de guerre » est l’objet de la part de l’Angleterre d’une interprétation unilatérale, variant suivant les cas et suivant les besoins, aux termes (l’Orders in Council qui ne se piquent point de traduire une doctrine mais de servir des intérêts[1].

Si l’on compare les méthodes anglaises aux méthodes continentales, on constate que l’Angleterre s’accommode de la Déclaration de Paris parce qu’elle restreint la notion de la propriété neutre pour élargir celle de la propriété ennemie. Le système anglais n’a rien de théorique ; il est essentiellement réaliste. La nationalité des navires, la nationalité des propriétaires ne sont pas pour lui des élémens suffisans de décision. Est ennemi, malgré le pavillon neutre, tout vaisseau appartenant à un neutre domicilié en territoire ennemi, tout vaisseau « incorporé » dans la navigation ou dans le commerce de l’ennemi. Il en va de même pour les marchandises neutres. Pourquoi ? Parce que l’Angleterre, si elle est belligérante, ne peut pas trouver pour son colossal commerce refuge sur les vaisseaux neutres ; parce que, si elle est neutre, elle dispose d’une force militaire dont la simple menace lui permet d’exiger des belligérans un traitement de faveur. Ici encore, par conséquent, elle est dans une situation spéciale qui lui déconseille de souscrire à des règles générales. Passons-nous à la contrebande de guerre, c’est-à-dire à ce qui, dans le commerce neutre, n’est pas couvert par le pavillon, nous remarquons que, d’une part, l’Angleterre revendique le droit de dire, en chaque occasion, ce qui est contrebande, que, d’autre part, presque toujours, elle étend arbitrairement la liste des objets de contrebande. La liste de « contrebande absolue » comprend chez elle des articles qui, sur le continent, ne sont pas considérés comme susceptibles de

  1. Un order in council de 1807 précise nettement la tradition anglaise. Il est conçu comme il suit : « Sa Majesté se trouve forcée de prendre de nouvelles mesures pour établir et maintenir ses justes droits et pour conserver cette puissance maritime que, par les faveurs spéciales de la Providence, elle tient de la valeur de son peuple et dont l’existence n’est pas moins essentielle au bonheur du genre humain qu’elle ne l’est à la sûreté et à la prospérité des États de Sa Majesté. » (Cf. Travers Twiss, le Droit des gens, t. II.)