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se justifiait par « les vues humanitaires et magnanimes de l’Empereur de Russie. » Son objet était de « faire triompher sur les éléments de trouble et de discorde la grande conception de la paix universelle » et, pour cela, de « mettre avant tout un terme au développement progressif des armemens actuels. » L’opinion publique ne s’y trompa point : elle appela la conférence projetée la conférence de la paix. Mais quelques mois plus tard, et sans avoir encore subi l’épreuve des délibérations, la conférence avait cessé déjà de mériter ce nom : ou si elle le méritait encore, elle ne le méritait plus exclusivement. Le 30 décembre 1898/11 janvier 1899, le comte Mouravief, instruit par l’accueil qu’avait reçu sa première communication, adressait aux puissances une seconde circulaire. Dans ce nouveau document, il était toujours question de la limitation des armemens ; mais il y avait beaucoup d’autres choses encore qui n’avaient avec cette question que des rapports indirects. On y rencontrait côte à côte un paragraphe sur l’arbitrage, un paragraphe sur l’application de la convention de Genève aux guerres maritimes, un paragraphe sur les engins de guerre prohibés, un paragraphe sur les explosifs et les torpilleurs sous-marins. Toutes ces matières secondaires étaient comme la monnaie de la grande idée première qu’on craignait déjà de ne pouvoir réaliser en actes ; c’était un moyen de se couvrir contre un échec trop probable en s’assurant de menus succès ; mais cette garantie s’achetait au prix de l’unité du projet primitif. La première circulaire Mouravief était un bloc ; la seconde était une mosaïque, où l’on avait juxtaposé les élémens les plus divers. La conférence de la paix déraillait vers la réglementation de la guerre. Dans la crainte de ne pouvoir restreindre l’importance numérique des instrumens de mort, elle se proposait d’entourer leur emploi de restrictions humanitaires, ou d’opposer au recours aux armes des mesures préventives. Cette contradiction allait s’accuser tout au cours de la conférence, malgré les efforts ingénieux faits pour la masquer. L’histoire de cette courbe curieuse est indispensable à l’intelligence des problèmes qui demain seront discutés à La Haye[1].

  1. Pour l’histoire de la première conférence, voyez Van Dachne van Varick : Actes et documens relatifs au programme de la Conférence de la paix (La Haye, Martinus Nighoff, 1899) ; Documens diplomatiques, publiés par le ministère des Affaires étrangères français (Paris, 1899) ; Procès-verbaux, rapports et documens communiqués aux membres de la Conférence ; W. Stead, la Chronique de la Conférence de la paix (La Haye, 1901) ; et surtout l’excellente étude historique et critique publiée dans la Revue générale de droit international public, par M. de Lapradelle, professeur à l’Université de Grenoble (novembre-décembre 1899. Pédone, Paris).