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Nous, les épigones d’un passé glorieux, nous devons nous contenter d’une conception plus modeste quand nous voulons définir aujourd’hui quelle est la patrie d’un Autrichien. Le dualisme et les tendances de plus en plus accentuées des aspirations nationales laissent à peine subsister la pensée fondamentale, qui reparaît comme un leitmotiv dans tous les actes du gouvernement de Marie-Thérèse. L’édifice pompeux de l’ancienne Autriche est déjà depuis longtemps en ruines. Ce n’est donc pas une entreprise ingrate de raviver son souvenir, de reconstruire au moyen des quelques feuilles jaunies d’un journal les traits de la grande impératrice, dont le règne patriarcal était si bienfaisant pour ses peuples.

Temps depuis longtemps disparus, quand, pour gagner les Hongrois et les Tchèques, il suffisait encore d’endosser leur costume national dans les bals masqués, comme le fit Marie-Thérèse ! Ce sont d’autres concessions qu’exigent aujourd’hui les nations : en les accordant ce n’est pourtant pas leur bonheur qu’on assure, on ne fait au contraire que les exciter à demander davantage.

De nos jours où l’on assiste au triomphe du suffrage universel, proclamant le principe : vota numerantur, sed non ponderantur, à une époque où la moyenne des hommes, fût-elle en situation de pouvoir s’adonner à la lecture des choses du passé, ne s’occupe, la plupart du temps, que de ta recherche des gains et des profits matériels du moment, il était naturel que les éditeurs se demandassent s’ils ne commettaient pas une imprudence ou un anachronisme, en publiant les notes journalières d’un vieux grand-maître des cérémonies réactionnaire ? Pour ne pas être arrêté par cette considération, on s’est laissé convaincre que, grâce à ces notes, la grande Impératrice serait mieux comprise, et qu’en même temps on mettrait mieux en lumière la fidélité et le dévouement de Jean-Joseph Khevenhüller à l’égard de sa souveraine.

Il n’y a pas longtemps que paraissait un roman intitulé : Trente ans à la Cour de Frédéric le Grand, dans lequel se trouvent réunies les notes d’abord séparément publiées et tirées du journal du comte de Lehndorf, chambellan de la Reine.

Combien était froide l’atmosphère qu’on respirait à la Cour de Berlin ! Que de fois n’y est-il pas arrivé qu’après être sorti de table, on se soit sauvé de la présence du Roi, « comme s’il y eût