Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/773

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

Par qui la mort de la princesse fut-elle annoncée au Duc de Bourgogne ? Nous l’ignorons. Nous savons seulement par Proyart[1] comment il l’accueillit : « Ah ! Seigneur, s’écria-t-il, conservez le Roi, » « comme si, continue Proyart, il eût pressenti en ce moment qu’il ne devoit pas lui-même régner sur la France[2]. » Puis il s’enferma dans son oratoire où il demeura deux heures en prières. Ce soir-là, il ne vit que le Duc de Berry et le duc de Beauvilliers qui, malade, sortit de son lit pour venir passer quelques instans avec lui. « Ce fut, dit Saint-Simon, la dernière fois, sans s’en douter, qu’ils se virent en ce monde[3]. » Le lendemain, qui était un samedi, il se confessa et témoigna le désir de communier le dimanche. Son confesseur le Père Martineau l’en détourna, alléguant qu’on s’en prendrait à lui, s’il en résultait quelque inconvénient. « Vous êtes le maître, répondit le Duc de Bourgogne, et je serois fâché de vous exposer à aucun reproche par trop d’attache à une pratique qui, toute sainte qu’elle est, peut se différer par de justes raisons ; mais j’espère que je trouverai dans l’obéissance tout le fruit et tout le juste mérite de la bonne œuvre que je diffère par votre avis[4]. » Il se résolut alors à partir pour Marly. A sept heures du matin, il se fit porter en chaise à son carrosse sans pouvoir échapper à quelques courtisans qui tinrent à se trouver sur son "passage et qu’il reçut avec politesse. Le Roi n’étant pas encore réveillé, il se fit descendre à la chapelle où il entendit la messe. De là il se rendit à son appartement. Une des premières personnes qu’il

  1. Aux sources que nous avons indiquées, il faut joindre, pour la mort du Duc de Bourgogne, la Vie du Dauphin, père de Louis XV, par l’abbé Proyart, à laquelle nous avons fait de si fréquens emprunts, et le Recueil des vertus du Duc de Bourgogne et ensuite Dauphin, par le Père Martineau, son confesseur. Cet opuscule, peu connu, a été réuni en volume en 1713 avec les Oraisons funèbres du Duc et de la Duchesse de Bourgogne, par le Père de La Rue, le Père Gaillard et d’autres encore. Proyart, qui parait avoir eu à sa disposition les papiers mêmes du Père Martineau, ajoute au récit de ce témoin oculaire quelques détails dont il a pu recueillir d’autre part la tradition. Mais nous nous en rapporterons de préférence au récit simple et naïf du Père Martineau, qui inspire plus de confiance que le ton parfois un peu ampoulé de Proyart.
  2. Proyart, t. II, p. 356.
  3. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 92.
  4. Recueil des vertus, etc., p. 159.