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souverain n’était ni Bismarck ni Moltke, mais le roi Guillaume qui, en fait d’armée, était le maître toujours présent et toujours dominateur. Lui adresser une suggestion de désarmement eût paru à Clarendon presque une irrévérence présomptueuse, et cependant il tenait à instruire Sa Majesté prussienne du désir de son gouvernement. Il recommanda donc à son ambassadeur Loftus de se tenir aux aguets et de saisir une occasion favorable d’entrer en conversation à ce sujet avec le Roi. Loftus avait cru la trouver un jour de juillet de celle année où il avait été invité à dîner à Babelsberg en compagnie de Benedetti. L’inauguration du port de Jahde venait d’avoir lieu récemment, et l’Angleterre s’y était fait représenter par un vaisseau de guerre, le Minotaure. Ce soir-là, le Roi, en parfaite santé, était en verve, aimable. Il exprima à Loftus son admiration pour le Minotaure ; « c’était le plus beau navire qu’il eût jamais vu. » Loftus crut l’occasion propice d’exécuter les instructions de son ministre : « Heureusement, dit-il, l’horizon politique est dégagé de nuages ; il n’y a qu’un danger pour la paix, ce sont les énormes arméniens de l’Europe. » Et il lui lut un extrait de la lettre de Clarendon : ce n’était pas seulement une charge lourde sur les finances, mais cela privait le pays de beaucoup de travail. Le Roi, toujours aimable, quoique le sujet ne parût pas lui plaire, reconnut la vérité de cette observation, mais il ne voyait pas comment on changerait cet état de choses. « En octobre dernier, répondit Loftus, la France a levé 100 000 conscrits, et l’Allemagne du Nord également. Pourquoi les deux gouvernemens ne s’accorderaient-ils pas à en lever 50 ou 60 000 ? Les proportions resteraient toujours les mêmes. » Le Roi répliqua que, si désirable que cela fût, ce n’était pas possible, parce que cela dérangerait tout le système de la Prusse. Loftus observa qu’il ne s’agirait que d’augmenter les cas d’exemption. Le Roi répéta de nouveau, sans entrer en discussion, ce qui, en effet, eût été difficile, que l’idée était louable, mais irréalisable. Loftus, quoique le Roi n’exprimât aucune mauvaise humeur, crut qu’il n’était pas décent d’insister davantage.


VIII

En Autriche, la situation nous eût été favorable si Beust eût été le véritable maître de la politique de l’Empire et s’il eût été