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Ce discours de M. Briand a produit un grand effet sut la Chambre. L’extrême gauche socialiste, en a éprouvé la plus vive indignation, et, le lendemain, ses journaux ont traité M. Briand de renégat. On se demandait avec impatience ce que ferait et ce que dirait M. Clemenceau. Le discours de M. Ribot l’a appelé à la tribune, où il ne pouvait d’ailleurs pas se dispenser de monter ; mais on a constaté tout de suite qu’il n’était pas dans ses meilleurs jours, et que sa verve, autrefois si libre et si franche, ne s’épanchait plus avec la même capricieuse bonne humeur qu’autrefois. M. Clemenceau cherchait ses mots, peut-être même sa pensée. Celle-ci a paru se dégager peu à peu, et on a fini par reconnaître qu’elle différait d’une manière assez sensible de celle de M. Briand. M. Clemenceau a voulu ménager l’extrême gauche, que M. Briand avait malmenée ; il a tendu une main conciliante à M. Jaurès, peu habitué de sa part à ces demi-caresses. La Chambre n’en a pas été surprise outre mesure : elle sait par expérience que jamais deux discours consécutifs de M. Clemenceau ne se ressemblent, et que, lorsqu’il a parlé un jour dans un sens, il ne manque pas, le lendemain, de parler dans l’autre. C’est sa manière. Cependant un enfant terrible du parti socialiste, M. René Renoult, n’a pas pu se retenir de manifester le désarroi de ses impressions, et, après avoir opposé le discours de M. Clemenceau à celui de M. Briand, il s’est écrié, comme le personnage de comédie : Qui trompe-t-on ici ? M. Clemenceau avait déplu à tout le monde, excepté aux socialistes unifiés. Sa péroraison avait été un défi aux radicaux. Il les avait insolemment traités de « muets du sérail. » Il les avait sommés de sortir de l’ombre et du silence pour prendre la responsabilité de leur opposition latente. « Si on a des accusations à porter contre nous, s’était-il écrié, à quoi bon se réunir entre deux portes, dans un coin, pour guetter, pour préparer une crise ministérielle ? Non ! Parlez haut ! La tribune vous est ouverte. Messieurs les radicaux, je vous attends ! » Les radicaux, c’est-à-dire la majorité de l’assemblée, cette majorité que M. Briand s’était efforcé de satisfaire et qu’il avait satisfaite en effet, s’apprêtaient à voter sous le coup d’une irritation très vive. Si M. Clemenceau avait repris à ce moment la parole pour répondre à M. Renoult, c’en était fait, dit-on, du ministère. Mais c’est M. Briand qui est monté à la tribune, et il a joué devant la Chambre une scène de haut goût dont elle n’a pas tardé à s’amuser : alors elle a été désarmée.

Eh quoi ! a dit en substance M. Briand, vous trouvez qu’il y a quelque contradiction entre mon discours et celui de M. le président du Conseil. Est-ce, Dieu, possible ? Je n’ai pas dit un seul mot qui