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du moment : le sarcophage de Voltaire, déposé à la Bastille que ses sarcasmes ont contribué à démolir, transporté en « terre sainte, » pour narguer l’archevêque de. Paris, et promené en grande pompe à travers la ville pendant près de huit heures, n’est-ce point là une manifestation éclatante du triomphe de l’idée révolutionnaire ?

Sortons maintenant de la capitale devenue inhabitable et transportons-nous à Coblentz pour voir quelle figure y font les émigrés à la fin de cette même année 1791. M. Bengy de Puyvallée a eu la douleur d’y trouver « le tableau mouvant de toutes les passions, de toutes les exagérations, un luxe scandaleux, une dépense folle, » et pas l’ombre dun plan habilement conçu. « On se repose sur des chimères, » écrit-il à M. d’Abzac, non sans une profonde mélancolie. Nous notons les mêmes constatations sous la plume de la duchesse de Saulx-Tavannes qui est à Trêves, en juin 1791, à Bruxelles en décembre 1791. A Trêves, les jeunes gens cherchent à fuir les soucis en suivant le conseil d’Horace : Nunc vino pellite… ; à Bruxelles, la vie est beaucoup plus divertissante. « Paris y est transporté, et les plaisirs y sont aussi vifs que dans nos temps les plus heureux… Il serait impossible de se former une idée de nos malheurs sur la conduite de tout ce qui est ici. »

A côté de ces lettres, nous tenons à mentionner celle que M. de Maiche écrivait à sa mère, au mois de novembre de la même année : elle témoigne des souffrances endurées par les émigrés, en proie aux vexations des habitans d’Ath en Hainaut. A Oberkich, « sur 1 580 gentilshommes qui se trouvent réunis, la moitié n’a d’autre drap de lit que sa chemise et ses bottes, et le reste a deux bottes de paille… Joignez à cela qu’ils sont 15 ou 20 dans une chambre de paysans, dont le parquet est souvent terre très humide. » « Il n’y a eu ni plainte ni regret, — lit-on dans la même lettre adressée au marquis de Vibraye, — c’est un phénomène en vérité, dont l’histoire, à ce que j’espère, fera un jour une mention honorable. » M. de Vaissière n’a pu retrouver le nom de l’auteur de cette dernière lettre, mais nous lui savons gré de l’avoir citée : puisse-t-elle attirer la pitié sur ces malheureux qui souffrirent si patiemment les infortunes de l’exil !

Ceux qui n’émigrèrent pas vont retenir maintenant notre attention. M. Fougeret de Château-Renard écrit de Paris à son intendant Nicolas Lecoy de la Marche que le peuple y devient de plus en plus infâme, que les religieuses et les femmes pieuses y sont méprisées et avilies, battues et outragées, et il constate que c’est là le signe certain de la déchéance d’un pays. Le 22 janvier 1793, il rend ainsi la