Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/707

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« alguazil » qui l’obligea de rétrograder sous prétexte qu’il n’avait pas de passeport pour franchir la barrière. A la grille, un suppôt des aides l’interpella à son tour : « Qu’avez-vous à déclarer ? — Que je suis sans liberté, — répond Quélen. Est-elle sur le tarif ? Faut-il payer ? — Non, passez ! » — « Je rentre en ville, écrit-il, sans pouvoir croire à la liberté de l’homme et à ses droits annoncés par la plus auguste assemblée de l’univers. » Le gentilhomme breton s’exprimait, on le voit, avec la plus entière franchise dans ses lettres : il eut la bonne idée de ne pas les signer, ce qui lui permit de ne pas être inquiété sous la Terreur. Il vécut jusqu’en 1802 et eut de son mariage avec Antoinette-Marie-Adélaïde Hocquart sept enfans, dont l’un fut le célèbre archevêque de Paris.

M. de Vaissière ayant retrouvé au cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale un crayon représentant le profil, au front fuyant, au nez allongé, à la bouche souriante de Charles-Alexis-Pierre Brulart de Genlis, marquis de Sillery, l’a reproduit dans son volume. Le mari de Mme de Genlis avait été élu à la Constituante par la noblesse du bailliage de Reims. Cet homme prudent s’étonne des propos d’une « licence inouïe » qui se tiennent dans les cercles politiques, au printemps de 1789. Il fait à son correspondant, M. de Savigny, le récit de la séance d’ouverture des États-Généraux. Le Roi n’a parlé que pendant quatre minutes et demie ; le garde des Sceaux, M. de Barentin, n’a été entendu de personne ; M. Necker n’a pas pu lire son discours en entier, tant sa voix était faible ; un de ses secrétaires a dû en achever la lecture. Il a paru à M. de Sillery que cette harangue n’avait pas l’assentiment général. Dans une lettre datée du 17 juillet 1789, le marquis décrit l’émotion populaire provoquée par le renvoi du ministre. La fin de la lettre nous dépeint le roi à l’Hôtel de Ville, cédant au vœu de la capitale, et acclamé avec transport par la foule qui venait d’apprendre que M. Necker avait été rappelé. Sillery, qui était de la faction d’Orléans, pousse un cri de triomphe : « En quinze jours, la révolution du plus grand empire de la terre s’est faite… L’intrépidité d’une partie des députés de la nation a fixé pour jamais la liberté de la France. » L’enthousiasme des premiers jours amènera vite des désillusions, même chez les novateurs les plus déterminés. Le citoyen Sillery, dont sa femme affirmera qu’il a été « l’un des fondateurs de la République, » apprendra à ses dépens qu’une révolution ne se fait ni si facilement, ni si rapidement : le 31 octobre 1793, il montera à l’échafaud.

Après les journées des 5 et 6 octobre, nous constatons le déclin du