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Combinaison est incessante et infinie Le compositeur épuise vraiment les possibilités de leur rencontre et de leur mélange, surtout de leur contraste et de leur conflit. Porró unum est necessarium. Que de fois, du fond de cette polyphonie, on soupire après l’unité ! Qui donc, ayant comme disait Bossuet, « foudroyé la multiplicité, » qui donc un jour, en musique, et même ailleurs, viendra la rétablir, cette unité partout nécessaire ! L’harmonie ici ne consiste que dans le contrepoint. Et jamais le mot ne fut plus juste, car il ne s’est jamais plus réellement agi, non pas de parties musicales, mais de points ou d’atomes. Ainsi, composite et menue en même temps, cette œuvre tout entière finit par nous produire l’impression d’une espèce de hachis sonore. Excusez le terme culinaire, mais véritablement il y a par trop de cuisine dans cet art-là.

En fait de cuisine orchestrale, on connaissait déjà l’incomparable maîtrise du symphoniste allemand. Elle se retrouve ici, peut-être seulement un peu restreinte, ou contrainte, par l’obligation d’accorder quelque chose, — oh ! pas grand’chose, — non pas sans doute au chant, mais du moins à la parole, à la déclamation, au cri. Et puis, à force de vouloir son orchestre homogène et fondu, il semble que le musicien finisse par en faire une sorte de bruit ininterrompu et indéterminé : tantôt un murmure et tantôt un rugissement, une rumeur tour à tour puissante et douce, mais d’où rien d’individuel ni de saillant ne se détache plus. Pardon ! certaines sonorités ont paru personnelles et sans exemple, dit-on, jusqu’ici. Pendant la décollation de Jean, au fond de la citerne, quelques notes se font entendre, que les uns ont pu croire de trompette, les autres de clarinette. Elles sont en réalité de contrebasse, et sans doute c’est le dernier trait de l’ingéniosité, le meilleur tour de la sorcellerie instrumentale, que de rendre la confusion possible entre des instrumens aussi divers.

En tout cela, dans cette extraordinaire polyphonie de timbres et de thèmes, qu’il y a d’habileté, d’artifice ! Mais qu’il y a peu de substance et surtout de beauté ! Et si, poursuivant la série des ordres ou des « règnes » de la musique, on passe à celui de l’harmonie, alors que de véritable, agressive et parfois atroce laideur ! Que dis-je ! On n’est point ici devant un « règne, » ou seulement un ordre, mais devant l’anarchie et le chaos, loi, plus de principes ni de règles. Ici, tout est permis et, contre la nature ou l’essence de la musique, il semble que tout soit osé. Heureux les autres arts, que sauvent de certains attentats les conditions mêmes de leur être. Ni la peinture, ni l’architecture, ni la statuaire ne pourraient, sans périr, manquer à certains