Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/664

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

patriotismes exaspérés, il résulte un état chronique d’anarchie et de violences où la meilleure volonté désespère de mettre l’ordre. Si, un beau jour, les Turcs levaient le camp, abandonnaient l’Europe pour passer en Asie, les chrétiens restés seuls se déchireraient entre eux avec un acharnement indicible jusqu’à ce que la force eût décidé souverainement de leurs querelles. « Je suis ici un gardien de fous, me disait un jour Hilmi Pacha ; j’empêche tous ces enragés de se dévorer les uns les autres ! » Le mot est vrai, à la condition d’y ajouter, en manière de correctif, que l’intérêt du gardien peut s’accommoder d’un état de démence qui assure sa propre sécurité par la division de ses adversaires.

Nous ne saurions entrer dans le récit de cette longue suite de crimes, de massacres et d’horreurs qui constitue, depuis 1902, l’histoire de la Macédoine ; il est impossible, tant sont-divergentes les versions d’un même événement, selon la nationalité de celui qui le raconte, de discerner la vérité dans ses détails ; mais la compréhension de l’œuvre qui s’imposait à l’Europe, dans sa mission réformatrice, exige un exposé très rapide de l’origine des troubles et de leurs phases principales.

C’est surtout après le succès de la révolution rouméliote, en 1885, que des comités se formèrent dans la principauté de Bulgarie pour préparer un mouvement de même nature en Macédoine ; ils travaillaient les populations par une propagande intellectuelle, scolaire, et ecclésiastique sous la haute inspiration de l’exarchat et des évêques. A partir de 1894 surtout, la cause macédonienne commence à passionner les Bulgares : les circonstances générales de la politique européenne rendaient de plus en plus improbable une action énergique des grandes Puissances pour l’exécution des réformes prévues par le fameux article 23 du congrès de Berlin. Les paysans de Macédoine persécutés, perdant patience, se réfugiaient par milliers dans la principauté, peuplaient tout, un quartier de Sofia ; leur infortune produisait dans la principauté une émotion d’autant plus sincère que leur présence ne tardait pas à devenir onéreuse Sous leur influence, le congrès de Sofia, en 1894, rédigeait les statuts de « l’Organisation macédono-andrinopolitaine, » qui se donnait pour tâche de préparer l’autonomie des provinces bulgares de l’Empire turc, de venir en aide aux Macédoniens opprimés et de promouvoir en leur faveur l’intervention européenne. L’ « Organisation » était dirigée par un « haut Comité extérieur » siégeant à Sofia, composé de