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raisonnement. » Bref, il a senti, — combien plus profond en cela que Renan ! — tout ce qu’il y a d’unique et d’irremplaçable dans le christianisme. Et sans doute, tout cela n’est pas la foi. Mais, en dépit des incertitudes, et des doutes, et des retours offensifs de scepticisme et de désespérance, cet état d’âme est infiniment plus voisin de la foi que celui des maîtres les plus fameux de la génération antérieure. Et cela encore a rapproché de nous le poète de Pêcheur et Islande.

Car c’est là ce qui achève de donner à son œuvre cet accent d’humanité supérieure sans lequel il n’y a ni grand artiste, ni vrai poète. Loti, comme ses innombrables « frères de doute, de rêve et d’angoisse, » Loti a été touché et mordu au cœur par la grande inquiétude. Cette inquiétude, il l’a promenée partout, il l’a amusée, il a multiplié les expériences de tout genre pour en adoucir ou en oublier l’amertume : toujours elle est revenue l’étreindre, d’autant plus obsédante et lancinante que plus d’efforts ont été tentés pour la chasser. Et toujours la même, l’éternelle question se posait, inexorable : Comment retrouver « les vieux espoirs morts, » qui seuls donnent un sens à la vie, et qui réconcilient avec elle ? Comment reprendre goût à la seule nourriture spirituelle que l’expérience des siècles ait montrée capable de calmer la faim de vastes communautés humaines ? Comment rentrer en communion d’aine non seulement avec tous ces simples qui meurent si tranquilles, « une prière enfantine, un sourire inexprimable » aux lèvres, mais encore avec tant de hautes et nobles intelligences du passé et même du présent qui ont puisé lumière et force dans les saintes croyances d’autrefois ? — Grave et douloureuse question, qui ne s’est jamais posée peut-être plus angoissante que de nos jours, et qui, en tout cas, depuis trente ou quarante ans, agite plus qu’aucune autre les consciences contemporaines. Au lendemain des événemens de 1870, la pensée française qui, jusque-là, s’était brillamment dispersée au dehors, s’est comme repliée sur elle-même[1]. Dans le sévère examen de conscience auquel elle s’est alors livrée, des problèmes qu’elle avait pu croire résolus, ou qui l’avaient laissée relativement indifférente, se sont imposés de nouveau à son attention dans des conditions nouvelles d’acuité et d’urgence. Ne s’agissait-il pas de remédier à l’état d’anarchie morale où

  1. Comme tous les écrivains de sa génération, Loti a été profondément ébranlé par les événemens de 1870 : voyez là-dessus Derniers jours de Pékin, p. 436-437.