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l’Empereur le mouvement libéral, et les adversaires de ce mouvement poussaient à sa nomination à l’étranger qui les débarrassait d’un adversaire redoutable. Seulement ils eussent voulu que cette ambassade fût une diminution et non un accroissement. Sous prétexte de cumul, ils insinuèrent à l’Empereur qu’en l’envoyant en Russie, il devait lui retirer ses fonctions de grand écuyer. Fleury fit remarquer qu’à l’envoyer ainsi, mieux valait le garder. Il n’aurait de force à Pétersbourg que si, au lieu d’y être jeté en disgrâce, il arrivait comme le représentant direct et personnel du souverain. « L’empereur de Russie, ajouta-t-il finement, ne saurait voir avec plaisir qu’on considérât sa Cour comme un lieu d’exil. » Napoléon comprit, et son ambassadeur conserva sa situation auprès de sa personne.

Le fait fit sensation dans les États du Sud et surtout en Prusse. Précisément, parce que Fleury conservait sa situation personnelle à la Cour, on en conclut que son ambassade avait une importance exceptionnelle, et on attendit, à Berlin avec crainte, à Pétersbourg avec curiosité, ce qu’il allait proposer. On eût été rassuré là et désenchanté ici, si l’on avait connu ses instructions. Elles étaient la reproduction de la politique équivoque qui maintenait ouvert le casus belli, sans conclure à la guerre, et impliquait une velléité de troubler la paix, tout en affirmant la volonté de l’affermir. En dehors de l’assurance que le général devait donner au Tsar du désir de resserrer les liens entre les deux souverains, elles ne contenaient de précis que les deux rengaines, devenues fatigantes à force d’être répétées, du Sleswig et des États du Sud. Le général devait exprimer les regrets qu’on éprouvait à Paris de ce que le Cabinet de Berlin n’exécutât pas le traité de Prague en ce qui concernait le Danemark ; il devait aussi représenter combien, dans l’intérêt de la paix, il serait nécessaire de maintenir le statu quo créé par ce traité de Prague, en montrant le danger que faisait courir en Europe l’idée germanique qui devait naturellement englober dans sa sphère d’action tous les pays parlant allemand, depuis la Courlande jusqu’à l’Alsace.

Sans doute les souffrances des Danois et l’indépendance des États du Sud intéressaient le cœur du Tsar. Mais sa véritable passion était en Orient. Il était mécontent de l’affectation bruyante avec laquelle, soutenue par la France, l’Autriche contrariait partout l’action de ses agens et semblait le narguer,