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Prim ne cacha pas sa joie de cette délivrance. Il n’avait plus à compter qu’avec la résistance de Serrano, et celui-ci, convaincu à son tour de l’impossibilité de Montpensier, consentit à la tentative auprès du prince Thomas.

Néanmoins, avant de se lancer à fond, Prim chercha à être fixé sur la pensée de l’Empereur. Mercier, avec qui il vivait de plus en plus en familiarité, interrogea confidentiellement La Tour d’Auvergne. Le ministre répondit : « Mon cher ami, deux mots seulement pour vous remercier de vos lettres, et pour vous dire que l’Empereur, à qui j’ai cru devoir soumettre celle du 6, me charge de vous répéter qu’il est prêt, ainsi qu’il l’a toujours déclaré, à reconnaître le souverain qui serait légalement élu au trône d’Espagne, et que la candidature du duc de Gênes ne peut qu’avoir toutes ses sympathies. Cela ne change rien d’ailleurs et ne doit rien changer à l’attitude de réserve bienveillante que vous avez si sagement adoptée. » Prim, ainsi rassuré, chargea le marquis de Montenar de suivre la négociation à Florence. Victor-Emmanuel donna son consentement de chef de famille, et s’engagea à obtenir celui de la Duchesse mère. Le ministre espagnol alla à Londres disposer le jeune duc à se soumettre aux ordres de son Roi, de son oncle, de son tuteur. Mais sa mère, obsédée par le souvenir de Maximilien, voyait déjà son fils fusillé ou assassiné. Beust, de passage en Italie, ne réussit pas à surmonter ses anxiétés, et le mari morganatique de la duchesse, Rapallo, courut à Londres pour ramener le prince au sentiment maternel[1].


V

En Russie se produisit dans notre ambassade un mouvement sensationnel, l’envoi à Saint-Pétersbourg du grand écuyer de l’Empereur, le général Fleury, à la place de Talleyrand, nommé sénateur. Un ambassadeur n’exerce de l’action à Saint-Pétersbourg que s’il porte l’épaulette et monte à cheval : ainsi seulement il a des facilités d’aborder le Tsar et de l’entretenir. Et ce fut le motif pour lequel l’Empereur, qui tenait à contre-balancer en Russie l’influence de la Prusse, avait choisi un général comme son représentant. Fleury soutenait auprès de

  1. Notes communiquées par le marquis de Montenar.