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leur vie journalière, mettent en saillie les principaux aspects de leurs caractères, et viennent se fondre en une impression commune d’harmonieuse unité. Puis, après les scènes joyeuses ou tristes d’amour partagé et de deuil, après les scènes où la passion grondante s’emporte à une entreprise audacieuse et presque désespérée, le dénouement, si admirablement filé, dans cet humble couvent où, d’elle-même, se fait la « renonciation totale et douce, » où l’apaisement tombe des blanches murailles et envahit pou à peu ces cœurs pleins d’irritation et d’amertume… L’art de Loti s’est quelquefois, — comme dans Pêcheur d’Islande, — appliqué à des sujets plus larges, plus poétiques peut-être et, en tout cas, plus tragiques : il n’a jamais été plus sûr de ses moyens et réalisé plus pleinement son objet.

Et enfin, — et c’est où je vois le bénéfice moral des émotions éprouvées en Terre-Sainte, — l’œuvre manifeste une intelligence du christianisme plus entière et plus pénétrante que les romans qui l’avaient précédée. Assurément, et quoique l’auteur n’intervienne pas, ou n’intervienne guère dans son récit, on sent très bien qu’il n’est pas croyant, et qu’il est un de ces hommes dont il parle quelque part, « des raffinés aussi, sans foi, sans prière, échangeant entre eux, à demi-mots légers, des pensées d’abîme. » Il a d’ailleurs conçu son héros à son image, et il ne peut s’empêcher de lui faire partager un peu son incroyance. Voyez aussi comme il nous peint Franchita au moment de la mort :


Croyante, elle l’était bien un peu : pratiquante plutôt, connue tant d’autres femmes autour d’elle ; timorée vis-à-vis des dogmes, des observances, des offices, mais sans conception claire de l’au-delà, sans lumineux espoir… Le ciel, toutes les belles choses promises après la vie… Oui, peut-être… Mais pourtant, le trou noir était là, proche et certain, où il faudrait pourrir.


Et, comme pour préciser sa pensée, c’est à la nature tout entière qu’un matin, en des pages du reste admirables, le poète fait prêcher, et chanter « le néant des religions, l’inexistence des divinités que les hommes prient. » — Et cependant, tel n’est pas son dernier mot, ni l’inspiration dominante du livre. La poésie, et l’on peut bien dire le « génie » du christianisme ont rarement été sentis et rendus avec autant de bonheur, par exemple, que dans la description de la grand’messe en ce village perdu