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presque espérer pour son âme, au-delà de la mort, un prolongement sans fin ; » car cette « foi tranquille » qu’il « vénère » « est la seule chose au monde lui donnant à certaines heures une espérance irraisonnée encore un peu douce. » Un autre jour, un peu d’islamisme aidant, car il s’est « toujours senti l’âme à moitié arabe, » il fera la profession de foi que voici :


Je pense que la foi des anciens jours, qui fait encore des martyrs et des prophètes, est, bonne à garder et douce aux hommes à l’heure de la mort. A quoi bon se donner tant de peine pour tout changer, pour comprendre et embrasser tant de choses nouvelles, puisqu’il faut mourir, puisque forcément un jour il faut râler quelque part, au soleil ou à l’ombre, à une heure que Dieu seul connaît ? Plutôt, gardons la tradition de nos pères, qui semble un peu nous prolonger nous-mêmes en nous liant plus intimement aux hommes passés et aux hommes à venir… [Au Maroc, 1890, p. III.]


Deux ou trois années, se passent, et Loti écrit ce douloureux roman de Matelot. Là aussi, comme dans Pêcheur d’Islande, il y a une pauvre mère de marin, à laquelle son fils n’est pas rendu, car, ainsi que tant d’autres, il lui a fallu « descendre, enveloppé d’une gaine de toile, descendre, descendre à travers la grande obscurité d’en dessous. » Or, après les premiers jours de grande révolte et d’affreux désespoir, ses yeux hagards se fixent sur une image de la Vierge et du Christ, et les douces larmes bienfaisantes coulent enfin comme d’une source. « Le céleste revoir apparut à cette mère, avec les promesses éternelles et tout le leurre radieux de cette immortalité chrétienne, telle que les simples l’entendent, et telle qu’il faut qu’elle soit pour consoler. » Et l’on se rappelle les dernières lignes du livre :


O Christ de ceux qui pleurent, ô Vierge calme et blanche, ô tous les mythes adorables que rien ne remplacera plus, ô vous seuls qui donnez le courage de vivre aux mères sans enfans et aux fils sans mère, ô vous qui faites les larmes couler plus douces et qui mettez, au bord du trou noir de la mort, votre sourire, soyez bénis !… Et nous, qui vous avons perdus pour jamais, baisons, en pleurant, dans la poussière, la trace que vos pas ont laissée en s’éloignant de nous… [Matelot, 1893, p. 241-242.]


Et enfin, s’il arrive qu’on dise devant Loti que tel livre, fût-il écrit par une reine qu’il aime, contient des choses « qui surpassent en consolation le christianisme, » et qu’on « parle presque dédaigneusement de cette foi qui, pendant des siècles, a donné aux mourans la paix souriante, » il s’attriste de cette