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cette foi ardente, intransigeante, et déjà si fertile « en argumens contre le papisme, » comment a-t-elle fini par faire place à ce « vague panthéisme inconscient » que « la contemplation continuelle des choses de la nature » faisait peu à peu naître en lui ? Lui-même, à plus d’une reprise, accuse de ce changement « l’écœurant formalisme » qu’il constatait autour de lui, et ce qu’il appelle « le patois religieux, » « l’ennui de certaines prédications du dimanche, le vide de ces prières, préparées à l’avance, dites avec l’onction convenable et les gestes qu’il faut… » « Au temple surtout, du gris blafard descendait déjà autour de moi. » En réalité, il y avait désaccord secret entre le fond du tempérament moral et l’éducation reçue ; et le divorce ne pouvait manquer d’aller toujours grandissant.

Ce qui contribua sans doute à le faire éclater, ce fut l’atmosphère trop enveloppante et amollissante que l’enfant respirait au foyer familial. Il avait une sœur et un frère de beaucoup plus âgés que lui et qui, comme il arrive souvent en pareil cas, rivalisaient avec un père, avec une mère surtout très tendrement aimée, — car il parle peu de son père, — avec des tantes, grand’tantes et grand’mères pour le gâter à qui mieux mieux. « Et seul enfant au milieu d’eux tous, je poussais comme un petit arbuste trop soigné en serre, trop garanti, trop ignorant des halliers et des ronces. » Les enfances trop choyées n’habituent pas à vouloir ; elles laissent la nature développer librement toutes ses énergies et abonder, pour ainsi dire, dans son propre sens ; elles n’enseignent pas à réagir contre soi-même, à accepter une discipline extérieure ; et elles préparent parfois, contre l’éducation qui s’en accommode, de violentes, de terribles réactions.

Celle de Loti eut au moins cet avantage de ne mettre aucune entrave à l’éclosion de ses facultés poétiques. Lui-même estime que, sans cette première « étape dans un milieu presque incolore, » il eût été plus tard « moins impressionné par la fantasmagorie changeante du monde : » il est probable qu’il dut à cette vie très retirée et comme recueillie, de pouvoir contempler ensuite l’univers avec des regards plus neufs et plus aisément éblouis. D’autre part, à vivre ainsi replié sur lui-même, il put de très bonne heure approfondir son âme, et, à travers les élans longuement poursuivis de son imagination et de sa sensibilité, prendre déjà conscience de cette capacité de résonance intérieure, qui est peut-être par excellence le don inné du vrai poète.