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changemens introduits dans ceux-ci ayant immédiatement un contre-coup sur la politique intérieure et modifiant l’état des partis. Ce sont des argumens qu’on ne peut faire valoir au dehors qu’en soulevant de grandes clameurs et souvent de grandes résistances au dedans, ce qui rend cette base de négociation bien difficile à prendre. Ajoutez à cela que les assemblées n’entendent presque jamais rien aux a flaires diplomatiques non plus que les diplomates aux intérêts commerciaux. Je ne sais, du reste, si nous avons beaucoup à désirer d’obtenir ce qui s’appelle une grande influence en Suisse. Notre intérêt n’est pas de conduire les Suisses, mais de faire que cette nation conserve sa force et son indépendance vis-à-vis de tout le monde ; car son utilité véritable et permanente est de nous servir de rempart et de frontière, et pour que ce résultat soit bien atteint, il faut qu’elle jouisse d’elle-même et ne dépende pas même de nous. En tout cas, ce qui me paraît bien certain, c’est que, pour parvenir à exercer de l’influence en Suisse, il faut prendre bien garde d’avoir l’air d’y viser. Il me semble que c’est là la première règle que doit s’y faire la diplomatie. Il n’y a pas de folies auxquelles, malgré leur bon sens, on ne put pousser les Suisses en paraissant vouloir les mener et surtout les pousser. Il ne serait pas sage de compter sur les intérêts matériels et le goût du bien-être même pour les retenir ; car les peuples démocratiques ressemblent toujours à ces glorieux qui souvent se jettent par vanité et par étourderie dans des entreprises téméraires où ils sont ensuite obligés de persévérer.

A. DE TOCOUEVILLE.


Berne, le 6 août 1850.

… Pour ce qui est de moi, j’ai reçu du département la commande d’une série d’études sur la situation agricole, industrielle, douanière de la Suisse ; sur les rapports de son commerce avec tous les États et enfin avec nous ; pour tout dire, je suis chargé de soupeser la Confédération et de dire, intrinsèquement parlant, ce qu’elle vaut. J’ai envoyé déjà un premier rapport assez volumineux, le second va partir cette semaine, en tout il y en aura dix ou douze et cela me fait l’effet de représenter la valeur de deux gros volumes. J’ai eu quelque crainte d’abord, quand je me suis vu établissant des moyennes sur la production du fourrage et des bœufs, dressant des tableaux de populations