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montrer sur les boulevards le 10 septembre et rassurer l’opinion. Il reçut le prince sans retard à Saint-Cloud et l’invita à un déjeuner intime auquel l’Impératrice, en route vers l’Orient pour présider à l’inauguration du Canal de Suez, n’assistait pas.

Le prince trouva l’Empereur vieilli, soucieux, marchant avec peine, se plaignant d’être constamment fatigué, mais toujours bon, bienveillant, confiant, causeur. Il exprima l’immuable intérêt qu’il portait à la Roumanie : il espérait que ce pays resterait attaché aux puissances occidentales et il voyait dans la visite du prince la preuve que la Roumanie s’efforçait de conserver les sympathies de la France. Il s’enquit du roi de Prusse ; il apprit avec plaisir qu’il était toujours aussi dispos et valide ; il rappela l’excellente impression que le roi Guillaume avait laissée à Paris, s’informa de la reine Augusta, et chargea tout particulièrement le prince de dire au Roi « combien ses idées étaient pacifiques et son désir sincère d’entretenir les meilleures relations avec la Prusse. » Le prince instruisit l’Empereur de ses projets de mariage ; il lui raconta qu’il allait, à son retour, se rencontrer avec la princesse de Wied, qu’on disait une personne accomplie. L’Empereur l’approuva, ajoutant : « Les princesses allemandes sont si bien élevées. »

Dans ces entretiens intimes le prince ne souffla mot de la candidature de son frère en Espagne. L’Empereur me l’a affirmé. S’il en avait dit quelque chose, le prince, qui venait de quitter l’envoyé espagnol, n’aurait pas manqué d’en faire mention et de rapporter à, son père les paroles de Napoléon III, puisque la volonté du souverain français était un des élémens essentiels de la résolution demandée aux Hohenzollern. D’ailleurs, pourquoi aurait-il sondé les dispositions de l’Empereur ? Le premier mot d’Antoine de Hohenzollern n’avait-il pas été, à l’annonce de la candidature de son fils : « La France ne le supportera pas ? »

Ce fut Silvela qui, à Madrid, jeta la sonde et essaya de se rendre compte de la manière dont le projet prussien serait accueilli à Paris : essai inutile si l’Empereur l’avait conseillé. Il dit dans une conversation privée à Mercier : « Il n’y aurait vraiment qu’une combinaison portugaise qui pourrait réussir, et quelques personnes songent au prince de Hohenzollern, à cause de ses liens de parenté avec la maison de Bragance. » Mercier[1],

  1. De Mercier, 8 octobre 1869.