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en septembre et je veux l’arranger de manière à n’être pas absent de chez moi pour l’époque de votre passage.

ALEXIS DE TOCQUEVILLE.


Saint-Lô, le 27 août 1844.

Je commence par vous prier, mon cher monsieur tic Gobineau, de ne-point m’envoyer votre Morale. Je reviens à Paris vers la fin du mois et vous me la remettrez là en mains propres. Vous avez, du reste, raison de croire que je vous ai accusé de paresse. Entre nous, je vous dirai même que je vous en accuse encore. Je crois que ce que nous faisons vous ennuie et je vous le pardonne assez volontiers. Il est difficile, j’en conviens, de se livrer avec agrément à un travail dont on ne voit clairement ni les limites ni les bornes et de préparer des matériaux qu’on ne doit pas mettre en œuvre. Je vous prie cependant de faire sérieusement un dernier effort afin que nous sortions au moins des Études préliminaires. Ce serait déjà beaucoup pour moi de savoir quels sont précisément les ouvrages qu’il faut étudier et les sources dans lesquelles il convient de puiser. Je trouverais au moins dans cette connaissance le moyen de me mettre fortement et efficacement au travail le jour où je le voudrais. Je crois que si vous parveniez à me donner d’une manière complète et intelligente cette espèce de catalogue analytique, je ne vous demanderais rien de plus, au moins guère à présent. Car se livrer à un travail d’examen proprement dit, sans être guidé ; chaque jour sur le point de savoir ce qu’il s’agit précisément, de remarquer et de mettre en saillie, c’est, je le comprends, une œuvre tout à la fois rebutante et improductive.

J’avais lu, avant que vous m’engagiez à le faire, vos deux feuilletons sur M. A. de Musset. J’y ai trouvé ce que vous mettez à tout, beaucoup d’esprit. Cependant j’ai de grosses critiques à vous faire. La première, c’est le choix du sujet. Vous avez peint M. A. de Musset sans observer la perspective. Si vous mettez dix-huit colonnes de petite impression pour parler des œuvres de M. de Musset, vous entreprenez assurément un cours de littérature plus long que celui de La Harpe. Je trouve des qualités charmantes au talent de M. de Musset ; mais enfin, comme vous le dites vous-même, le total forme un talent du second ordre. M. de Musset n’est pas extrêmement connu hors du monde littéraire de Paris, et il n’excite pas assez vivement la curiosité et l’intérêt.