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vous serez toujours le bienvenu chez nous non seulement en votre qualité de philosophe, mais, ce qui vaut mieux, comme un homme spirituel et aimable pour lequel j’ai une véritable amitié.

ALEXIS DE TOCQUEVILLE.

P.-S. — J’ai toujours oublié de vous dire que je souhaiterais qu’en tête du travail que vous faites sur un auteur vous mettiez en quelques lignes sa biographie.


Le 28 novembre 1843.

Je n’ai pas répondu, mon cher monsieur, à votre première lettre parce que, je l’avoue, je n’ai pas cru un moment que votre vivacité eût une issue tragique. Les savans ne se laissent pas mener aisément sur le pré ; je connais leurs mœurs et mon inquiétude a été nulle. Peut-être auriez-vous mieux fait de vous plaindre à l’Académie que d’engager ainsi une lutte qui ne peut maintenant avoir pour résultat que de rendre très difficiles vos rapports avec la bibliothèque, et empocher que vous ne vous y procuriez les livres dont nous pouvons avoir besoin. Mais la chose est faite ; ainsi n’en parlons plus. J’aurais bien désiré cependant que vous pussiez vous remettre à notre morale bientôt. Cependant, je vous ai si souvent empêché de travailler qu’il faut vous pardonner cette fois d’avoir trouvé vous-même l’obstacle qui vous force à ne rien faire.

Vous me reprocherez sans doute d’avoir mis tant de temps à vous répondre. Mais si vous aviez vu de combien de petites affaires domestiques ou électorales j’ai été accablé en arrivant chez moi, assurément vous me pardonneriez sans peine. A l’heure même où je vous écris, je suis au milieu de mon Conseil général, ajoutant la petite comédie de la vie politique à la grande pièce que nous venons de jouer pendant sept mois. Si je vous dis des sottises, attribuez-les donc, je vous prie, à ceux qui parlent autour de moi et dont j’ai peur de vous envoyer sans le vouloir les paroles au lieu de mes propres idées. Permettez-moi donc d’en rester là, mais non sans vous dire que nous serons charmés, si vos excursions d’automne vous amènent de nos côtés et nous donnent l’occasion de vous recevoir à Tocqueville. Dites-moi si vous viendrez et quand vous viendrez ; car j’ai une tournée à faire