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Je vous avoue que je professe une opinion absolument contraire à la vôtre sur le christianisme. Il est à mon avis beaucoup plus différent de ce qui la précédé que vous ne le pensez, et nous sommes bien moins différens de lui que vous ne le dites… Je n’ai jamais pu me défendre d’une émotion profonde en lisant l’Evangile. Plusieurs des doctrines qui y sont contenues et des plus importantes m’ont toujours frappé comme absolument nouvelles, et l’ensemble surtout forme quelque chose d’entièrement différent du corps d’idées philosophiques et de lois morales qui avaient régi auparavant les sociétés humaines. Je ne conçois pas qu’en lisant cet admirable livre, votre âme n’ait pas éprouvé comme la mienne cette sorte d’aspiration libre que cause une atmosphère morale plus vaste et plus pure. Quand on veut critiquer le christianisme, il faut bien faire attention à deux choses.

La première est celle-ci : le christianisme nous est arrivé à travers des siècles de profonde ignorance et de grossièreté, d’inégalité sociale, d’oppression politique ; il a été une arme dans les mains des rois et des prêtres. Il est équitable de le juger en lui-même et non par le milieu à travers lequel il a été obligé de passer. Presque toutes les tendances exagérées, presque tous les abus que vous reprochez souvent avec raison au christianisme, doivent être attribués à ces causes secondaires, ainsi qu’il me serait, je crois, bien facile de le prouver, et non au code de morale dont le premier précepte est cette simple maxime : Aimez Dieu de tout votre cœur et votre prochain comme vous-même ; ceci renferme la loi et les prophètes.

La seconde chose à quoi il faut faire attention, c’est que le christianisme n’est pas une philosophie, mais une religion. Il y a certaines doctrines qui font nécessairement partie d’une religion, quelle qu’elle soit, et qu’il ne faut assigner au génie particulier d’aucune. Tel est le mérite attribué à la foi, l’utilité, la nécessité de la foi, l’insuffisance des œuvres sans la foi, et, par conséquent, dans une certaine mesure, l’intolérance dont vous vous félicitez si fort de nous voir exempts. Tout cela est inhérent aux religions et lié nécessairement au bien qu’elles peuvent produire. On ne peut avoir l’un sans l’autre. Et pour mon compte, je suis convaincu, je vous l’avoue, que le mal que ces idées font à la morale est à tout prendre bien moindre que celui qu’elle souffre lorsqu’elle vient à perdre la sanction