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du Golfe, de la Ville, de la Forêt, de la Flottille, des Toits, du Rocher, du Port, de l’Hiver.

Ayant ainsi déterminé et isolé de toutes les autres l’impression qu’a produite en lui tel paysage, l’artiste peut dorénavant donner à son paysage le nom même de son impression. Et il n’y a pas manqué. Ce n’est point tel rivage de Suisse ou d’ailleurs que Baud-Bovy a entendu peindre dans son tableau du Luxembourg : c’est la Sérénité ; ni telle pointe de Bretagne que M. Cottet a voulu montrer, mais la Brume. M. Harrison intitule, cette année, un de ses tableaux Nuit silencieuse. M. Ménard les siens : la Forêt, le Marais, Soleil d’octobre. M. d’Argence nomme une étude excellente d’eaux au soleil Matinée d’août. D’autres paysages pouvaient être intitulés le Froid, la Solitude, l’ Abandon, le Silence, tellement ils dégagent clairement à nos yeux l’impression ou l’idée dont ces mots sont, pour notre esprit, représentatifs.

Millet disait, un jour, à un de ses élèves : « L’idée qu’il faut donner de la neige, ce n’est pas qu’elle est blanche : c’est qu’elle est froide. » Et, à un autre qu’il voyait occupé à dessiner, laborieusement, le chemin des Barbizonnières dans la forêt de Fontainebleau : « Ce n’est pas cela ! On n’entendrait pas crier les essieux dans ton chemin ! » Il avait le droit de parler ainsi, car il a su exprimer dans ses Champs en Hiver, presque sans rien de visible, tout ce qu’on entend et ce qu’on ressent d’impressions tactiles et ce qu’on éprouve de tristesse et de reconnaissance pour le travail obscur de la terre abandonnée… Même sans la figure d’homme qu’il y a mise, Puvis de Chavannes eût réussi à donner l’idée d’une pauvreté indicible par le paysage du Pauvre Pêcheur. Enfin, M. Henri Rivière, dans ses estampes fameuses des Aspects de la Nature et des Féeries des Heures, a rendu, par des raccourcis, des impressions subtiles et presque des idées abstraites, des choses ! si bien, en effet, il a su « abstraire » l’unique trait qui signifie cet « aspect » ou évoque cette « féerie. »

Est-ce là une tendance nouvelle dans l’art du paysage, ou n’est-ce pas une étape nouvelle de sa tendance continue ?

Quand on observe l’évolution du paysage depuis qu’il est promu à la dignité de genre séparé, et qu’on en suit les transformations, non pas d’après les théories des novateurs qui ne servent qu’à obscurcir la question, mais d’après les œuvres qui, toutes,