Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 39.djvu/586

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à plus clairement exprimer un des aspects de cette diversité.

« Un aspect limité, » voilà ce que nous trouvons, de nos jours, non seulement chez M. Le Sidaner, mais chez bien d’autres peintres modernes de paysage, et justement chez les meilleurs, les plus attirans, les plus évocateurs : chez Thaulow, chez Cazin, chez MM. René Ménard, Cottet, Dauchez, Henri Rivière, Lechat, Guillaume Roger, Harrison, Clary, Monod, Moullé, Kœnig, d’Argence, Truchet, Maufra, Vaysse, Hareux, Gilsoul, Claus, Madeline, Ulmann, Cailliot, Dagnac-Rivière, Meslé, Lepère, Willaert, Henri Duhem, Bellery-Desfontaines, Goepp, à la fois chez les « ténébreux » successeurs de Delaberge et de Bonvin, et chez les « luministes » disciples de Monet et de Sisley, à la fois chez les traceurs d’arabesques et chez les épar-pilleurs de touches ou les briseurs de lignes. Et cet « aspect limité » donne à tous leurs paysages, quel que soit le sujet, un air d’intimité, de recueillement et de silence qui contraste nettement avec les grands arrangemens scéniques ou les fanfares de leurs devanciers. On est aussi peu distrait, dans leurs champs, sur leurs plages, dans leur plein air et sous leur ciel, que dans les chambres closes de M. Lobre ou de M. Walter Gay.

C’est qu’en effet, il y a fort peu de distractions dans leurs paysages. Regardez-les bien, et vous verrez que l’impression que vous en ressentez tient à l’élimination d’une foule de choses animées et chatoyantes, considérées autrefois par le paysagiste comme des bénédictions de la nature.

Premièrement, dans la plupart de ces toiles, il n’y a plus de ciel : à peine une petite bande au bord du cadre, une imposte ouverte au haut de la toile. Ou bien, s’il y a un ciel, il n’y a plus que cela. C’est le portrait d’un nuage, d’une de ces nuées, « qui sont de grandes déesses pour les hommes paresseux, » et alors les diversions de la terre manquent tout à fait. Mais les deux spectacles, celui du ciel et celui de la terre ne sont jamais donnés à la fois. Jamais, à aucune époque du paysage, on n’a vu la ligne séparative de la terre et du ciel, ce qu’on appelle communément et à tort « la ligne d’horizon, » placée aussi haut dans la toile au bord du cadre, de façon à couper court à toute distraction et à rabattre toute l’attention sur le sol. C’est la première caractéristique du paysage au XXe siècle. Elle est capitale, car, la hauteur où l’on met sa ligne d’horizon est décisive dans l’art comme dans la vie, d’une foule, de décisions