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Buffet était fils d’un ancien colonel de l’Empire. D’abord avocat à Mirecourt, puis député à la Constituante et à la Législative, il avait été très jeune initié au maniement des affaires publiques et avait donné déjà deux fois sa démission de ministre, en 1849 avec Odilon Barrot, en 1851 avec Léon Faucher. Dans les deux occasions, son motif était le même : la défense des prérogatives parlementaires contre ce qui paraissait une entreprise du pouvoir exécutif, et dans les deux occasions il avait donné à sa résistance un air de farouche résolution, dont l’Empereur avait conservé un fâcheux souvenir. Il poussait jusqu’au fétichisme le culte du système parlementaire, sans toutefois l’identifier avec la dynastie d’Orléans. De quelque main qu’il lui fut donné, il était disposé à le prendre. Joignez à cela une haine vigoureuse de la démagogie, un goût plutôt médiocre pour la démocratie, un dévouement passionné au principe catholique, et vous aurez tout l’esprit de l’homme. Le défaut de cet esprit était de se complaire aux détails, d’être frappé par ce qui divisait, plus que par ce qui rapprochait, de creuser les petites séparations jusqu’à en faire de larges fossés, de manquer de synthèse, par conséquent de compréhension souple. Mais dans sa nature morale, jamais de défaillance. Il n’admettait aucun compromis avec ce qui était le devoir : de là le caractère irrité de sa résistance contre ce qui lui paraissait incorrect, quoiqu’il fût bon et bienveillant. Son désintéressement était complet, ainsi que sa modestie ; il n’a jamais recherché, dans les situations les plus diverses, la satisfaction d’aucun intérêt personnel de gain, d’importance, de vanité, et il n’a jamais poursuivi personne de ces sentimens d’envie qui abaissent la plupart des politiciens. Ce fut une grande conscience. Il était entré au Corps législatif en 1864 seulement, après une lutte très vive contre le candidat officiel. Tant que la liberté n’avait été défendue que par les Cinq, il était resté en observation ; dès qu’un groupe parlementaire se forma dans le parti conservateur, il s’unit d’une manière active et très efficace à ceux qui voulaient barrer la route à la révolution par l’union de l’Empire et de la liberté. Son réel talent d’orateur, sa parole ferme, ordonnée, précise, sans atteindre à ces sommets de l’éloquence où portent les souffles poétiques, avait, lorsque la passion réchauffait, une noble puissance.

Segris était un des avocats célèbres, non seulement d’Angers, mais de toute la région. De la politique il n’avait d’abord