carrière à M. Emile Ollivier. Sauf M. Maurice Richard, les hommes que le député du Var s’est donnés, bon gré mal gré, pour collègues, ont de vieux services ou une importance personnelle qui les soustraient à son influence. C’est une garantie. » Daru, en effet, avait été choisi, — car Buffet ne se serait pas prêté à ce rôle, — pour me reléguer au second plan. La défiance qu’on me manifestait ainsi ne tenait pas à une antipathie personnelle. Je ne l’aurais pas méritée, et aucun de mes collègues ne l’éprouvait. Ce qui les inquiétait, ce n’était pas non plus ce qu’on a dit de ma mobilité, de ma facilité à me laisser emporter par l’enthousiasme au-delà de ce que je voulais et de ce qu’exigeait la prudence politique. Plus que personne, ils savaient que, depuis dix ans, j’étais immobile à la même place, comme un roc, et que le pouvoir ne m’en ferait pas plus sortir que l’opposition. Ils avaient expérimenté que le tumulte des assemblées, qu’il se manifestât par des applaudissemens ou des murmures, loin de m’exciter, me calmait, et que je n’étais jamais plus maître de moi que quand les autres avaient cessé de l’être d’eux-mêmes. Leur défiance tenait à deux causes : tous étaient loyalement dévoués au gouvernement dont ils acceptaient d’être les serviteurs, mais leur passé à tous était monarchique. Moi, j’étais foncièrement républicain. Mon noble et charmant ami, Léon Galouye, qui était aussi celui de Gambetta, me disait souvent : « Vous êtes le seul républicain que je connaisse. » Et si je m’étais entendu avec l’Empire sur un contrat passé en forme et signé, c’est parce que je considérais, dans les circonstances actuelles, un Empire libéral et constitutionnel comme la meilleure forme de la République. De plus, mes collègues étaient protectionnistes, j’étais libre-échangiste ; ils étaient les ennemis irréconciliables de l’Italie, et, malgré mon dissentiment sur Rome capitale, j’en restais l’ami dévoué. Mais tout cela, si grave que ce fût, n’était en quelque sorte qu’accessoire. Ils avaient envers l’Empereur une incurable défiance et point d’affection personnelle ; j’avais confiance en lui, et sa personne m’inspirait plus que de la sympathie ; ils présumaient donc que, dans les cas difficiles, je me placerais de son côté plutôt que du leur et que je ne le livrerais pas à leurs exigences si elles devenaient excessives.
J’avoue que dans la facilité avec laquelle je me prêtai à subir ces précautions, il y avait plus de dédain que d’humilité. Je me