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dans cette galère ? Il n’est pas pratique de coudre ensemble du drap neuf et du drap vieux. » Que m’avait-il donc proposé pendant tant de semaines, lorsqu’il me conjurait d’entrer seul dans le ministère du 17 juillet et qu’il s’écriait lyriquement : « Quel quadrilatère ce serait que Ollivier, Magne, Forcade et Chasseloup ! »

Dans l’ancien ministère, il y avait un homme modeste, libéral, instruit, éloquent, Bourbeau. Je lui demandai son concours, il me le promit à l’Instruction publique. Il ne restait à trouver que le ministre des Affaires étrangères. Je pressai La Tour d’Auvergne de conserver son portefeuille. Il se retrancha derrière son état de santé, et nous ne pûmes triompher de ses refus. L’Empereur me proposa alors Gaudin, député, gendre de Delangle. Comme je n’accueillais pas cette ouverture avec beaucoup d’entrain, l’Empereur m’écrivit : « Si la combinaison dont nous sommes convenus ne réussit pas, il y aurait un grand avantage à avoir pour garde des Sceaux M. Odilon Barrot qu’on me dit très bien disposé. Quant au ministère des Affaires étrangères, je crois vraiment que M. Gaudin conviendrait bien. Il n’a pas grande autorité dans la Chambre, mais il était très estimé au Conseil d’État. Il est très honorable, très riche, ancien ministre plénipotentiaire, et enfin parle avec la plus grande facilité. Si l’on veut des hommes nouveaux, il faut bien essayer ceux qui n’ont pas acquis de célébrité. »

J’allai voir Odilon Barrot. Il se montra fort touché, mais n’accepta point, invoquant son grand âge. Le prince Napoléon me parla d’un jeune ministre plénipotentiaire plein de talent et de l’acceptation duquel il me répondait, Bertemy. Le jeudi 30 novembre, à neuf heures du soir, j’écrivis à l’Empereur pour lui proposer le ministère suivant : Justice et Cuites, Émile Ollivier ; Affaires étrangères, Bertemy ; Intérieur, Chevandier ; Travaux publics, Maurice Bichard ; Commerce, Gaudin ou Louvet ; Instruction publique, Bourbeau ; Conseil d’État, Chasseloup ; Finances, Magne. Le lendemain, dans la matinée, Conti vint me dire que l’Empereur acceptait tous ces noms, demandant seulement de mettre Gaudin à l’Intérieur, et Chevandier au Commerce. Il m’attendait à quatre heures pour terminer. Ma réponse fut : « Sire, je me considère comme impuissant à former un ministère autre que celui que j’ai proposé à Votre Majesté. Gaudin à l’Intérieur produirait un mauvais effet, tandis que Chevandier inspirera confiance et sera un ministre remarquable.